Le musée de l’Histoire du fer de Jarville-la-Malgrange (sortie urbaine des Agoras)

par Pascal Raggi
mardi 12 mai 2020
par  fred131
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Le Musée de l’Histoire du fer de Jarville-la-Malgrange : la belle cinquantaine

Pascal Raggi

Introduction

Le Musée de l’Histoire du fer de Jarville-la-Malgrange a fêté ses 50 ans en 2016 [1]. Établissement de culture scientifique et technique de la Métropole du Grand Nancy et de l’Université de Lorraine, labellisé « Musée de France », il a pour caractéristique majeure d’être à la fois un espace muséal et un lieu de recherche scientifique. Cette double dimension est en place dès sa création. En effet, avant même son inauguration en octobre 1966, des érudits lorrains ont créé des structures de recherche archéologiques et historiques dont l’objectif est de mieux connaître l’histoire mondiale de la métallurgie du fer.

Dans les années 1950-1960, tandis que le Musée de l’Histoire du fer est à peine en gestation et que la recherche sur les métaux est encore réalisée dans une annexe du palais des ducs de Lorraine – Musée lorrain, les objectifs définis par Édouard Salin (1889-1970) et Albert France-Lanord (1915-1993) constituent néanmoins les bases de la fondation d’un lieu unique pour l’étude scientifique et la connaissance de la métallurgie du fer. Ce dernier, en prenant forme en 1966, connaît une première période florissante qui s’achève à la fin des années 1970. Les années 1980-1990 sont celles d’une adaptation à l’évolution vers de nouveaux types de fréquentations des musées alors que les thématiques relatives à l’apparition et à la conservation du patrimoine industriel changent la philosophie de sa muséographie. Au XXIe siècle, période à la fois de mise en difficulté de certains musées et de sur-fréquentation d’autres [2], le Musée de l’Histoire du fer (MHF) est modernisé.

L’archéologie et l’histoire du fer en Lorraine dans les années 1950-1960

Dès 1950, Édouard Salin [3], archéologue spécialiste de la période mérovingienne et descendant d’une famille de maîtres de forges, et Albert France-Lanord [4], issu d’une lignée d’entrepreneurs nancéiens, ont mis en place un laboratoire de recherches archéologiques au sein du palais des ducs de Lorraine – Musée lorrain de Nancy. Sur la lancée du colloque international « Le fer à travers les âges » [5], qui s’est tenu à Nancy du 3 au 6 octobre 1955 sous la présidence de Lucien Febvre (1878-1956), ils créent cette structure qui préfigure l’existence du MHF. Sur le plan muséographique, l’exposition temporaire « La technique sidérurgique et son évolution » sert de point de départ à une démarche intellectuelle et architecturale qui anticipe sa création. Elle a été, pour partie, conçue par Bertrand Gille (1920-1980), le grand historien français de l’histoire des techniques. Elle donne le ton pour la suite du processus qui conduit au développement des recherches sur l’histoire de la sidérurgie mondiale. En 1957, soutenus par la Faculté des Lettres de Nancy, Albert France-Lanord et Édouard Salin fondent le Centre de recherche en Histoire de la Sidérurgie (CRHS) et le MHF, installé alors dans une dépendance du château de Montaigu de Jarville-la-Malgrange qui appartient à la famille Salin.

Un musée des Trente Glorieuses

Dans le cadre de l’apogée de l’industrie minière et sidérurgique que connaît la Lorraine du fer au début des années 1960 [6], ces initiatives conduisent à la construction d’un bâtiment remarquable qui a pour fonction d’abriter, d’une part, un musée avec des collections présentant des objets liés à l’histoire du fer de l’apparition de ce métal jusqu’à la fin du XIXe siècle et, d’autre part, à partir de 1967, le Laboratoire d’Archéologie des Métaux (LAM) qui succède au laboratoire archéologique du palais des ducs de Lorraine – Musée lorrain. L’ensemble est bâti sur la propriété de la famille Salin. L’espace muséographique et la partie laboratoire se déploient dans une construction en verre et acier, œuvre des architectes Jacques et Michel André associés à Claude Prouvé. En 1969, cet édifice a reçu le prix architectural de l’Équerre d’argent.

Au sein de 3 étages de galeries lumineuses réparties sur 2 300 m2 et d’un sous-sol aménagé, le MHF est d’abord un espace qui présente l’histoire archéologique et technique de la production du fer au niveau mondial. Les développements de l’industrie du fer y sont mis en évidence par la présentation des étapes et des progrès qui ont permis son amélioration quantitative et qualitative. L’organisation chronologique des espaces a été élaborée par Bertrand Gille. Le visiteur des années 1960-1970 suit ainsi un parcours qui commence dans une grande salle souterraine obscure où des vitrines éclairées mettent en valeur des cartes de localisation, une collection de minéraux et des objets en fer antiques. Les salles des étages comportent des maquettes d’installations sidérurgiques, des objets en fer et des panneaux explicatifs. Ces derniers sont modulables et peuvent être déplacés au sein d’espaces muséographiques ouverts. Cette configuration donne de la légèreté à la présentation et met en valeur la transparence de la structure du bâtiment. Des expositions temporaires viennent compléter régulièrement les collections permanentes et un centre de documentation conserve les ouvrages et les revues liées à l’histoire du fer, de l’industrie métallurgique et de la sidérurgie.

Au rez-de-chaussée et au sous-sol d’une aile du bâtiment, le LAM complète la dimension scientifique du musée grâce à des installations permettant la restauration des objets métalliques. Une équipe de scientifiques met en œuvre des actions de restauration à partir de diagnostics d’état de conservation. Grâce à des traitements de consolidation, d’électrochimie, de nettoyage et de stabilisation physico-chimique, le LAM est en mesure de contribuer à la longévité de pièces archéologiques uniques. Par exemple, le célèbre cratère en bronze de Vix, datant du VIe siècle avant Jésus-Christ, a été restauré par Albert France-Lanord et Aimé Thouvenin (1920-1999) [7].

Le rayonnement du LAM et du MHF s’appuie aussi sur la diffusion de la Revue d’histoire de la sidérurgie publiée de 1960 à 1968, puis la Revue d’histoire des mines et de la métallurgie qui lui succède de 1969 à 1972. Émanations du Centre de Recherches de l’Histoire de la Sidérurgie, ces deux revues publient des articles d’histoire des techniques consacrés à la métallurgie du fer. Au début des années 1970, cette publication est fortement liée à l’industrie sidérurgique française. Ainsi, Jacques Ferry (1913-1996) [8], président de la Chambre Syndicale de la Sidérurgie Française de 1964 jusqu’en 1979 et Henri Malcor (1906-1998) [9], président de la Cie des Forges et Aciéries de la Marine, Firminy et Saint-Étienne (1960-1970) puis de Creusot-Loire (1970-1972), siègent à son conseil d’administration. Lorsque la publication de la revue s’arrête en 1972, la France a une production annuelle de 24 millions de tonnes d’acier et sa sidérurgie est alors une des plus puissantes d’Europe [10]. Deux ans plus tard éclate la grande crise de la sidérurgie européenne (1974-1984) qui a des conséquences sur l’environnement territorial du MHF où l’industrie sidérurgique lorraine est fortement impactée par de profondes restructurations entrepreneuriales de ses installations et par une vague de fermetures d’usines.

Le MHF de la crise de la sidérurgie aux premières formes de sauvetage du patrimoine industriel (années 1980-1990)

Pour la sidérurgie française gravement touchée par la crise européenne, le plan acier de 1984 rompt avec la politique de préservation de l’emploi minier et sidérurgique tentée par la Gauche de gouvernement depuis 1981. La Lorraine est alors la région la plus touchée par les restructurations décidées dans ce cadre [11]. Conjointement à la fermeture de nombreux sites, le gouvernement de Laurent Fabius prolonge les mesures d’accompagnement social des mineurs de fer et des sidérurgistes qui perdent leur emploi. Au niveau régional, le contrat de Plan État/Région signé le 11 juillet 1984 complète les mesures sociales par une stratégie de développement global de la culture scientifique, technique et industrielle dans les quatre départements lorrains. Des actions de formation et des recherches soutenues par la Mission du Patrimoine Ethnologique et la Direction Régionale des Affaires culturelles sont alors mises en place pour mieux connaître l’histoire de la culture ouvrière et technique de la sidérurgie.

Des Centres de Culture Scientifique, Technique et Industrielle (CCSTI) sont ainsi créées en Lorraine. Le MHF accueille le CCSTI du fer et de la métallurgie. Conjointement à ses fonctions muséales classiques, comme la mise en place d’expositions temporaires ou la valorisation de ses collections, le MHF devient un lieu de conservation ethnographique. Cette orientation est prise tandis que des questionnements sur l’avenir des sites sidérurgiques désaffectées se posent avec acuité, notamment au début des années 1990. Ainsi, de 1991 à 2006, les péripéties administratives qui finissent par aboutir à l’inscription à l’Inventaire du Patrimoine du haut-fourneau U4, situé à Uckange au Nord de la Lorraine du fer, prouvent que l’histoire et donc la muséographie de la sidérurgie doivent désormais prendre en compte un aspect patrimonial lié à la conservation de certaines infrastructures sidérurgiques.

Le MHF au XXIe siècle

En 2002, tandis que la nouvelle loi des musées s’applique à ce « musée de France », le MHF existe dans un environnement où l’industrie minière et sidérurgique du fer s’étiole en termes de personnels employés et de sites en activités. La dernière mine de fer de Lorraine a fermé en 1997 [12] et les usines sidérurgiques ont subi des redimensionnements qui contribuent à renforcer l’invisibilisation des travailleurs du secteur et, par conséquent, de leur industrie [13] ; l’« Affaire de Florange » (2011-2013), extinctrice in fine des haut-fourneaux du site hayangeois de Patural, confirmant évidemment cette évolution. Dans le même temps, l’attrait pour le design industriel se renforce dans le grand public. S’adaptant à cette tendance, en 2012, le MHF ouvre, sur près de 300 m2, un espace permanent consacré à l’architecture métallique et dédié à Jean Prouvé qui redynamise sa fréquentation.

Depuis 2015, le bâtiment du musée est labellisé « Patrimoine du XXe siècle » et le MHF conduit des projets en collaboration avec l’Université de Lorraine. Cette évolution, comme la création ou la revitalisation de partenariats avec des collectivités locales ou des entreprises sidérurgiques historiques, l’ont amené à travailler à la redéfinition de son Projet Scientifique et Culturel (PSC). Pont-à-Mousson SA (groupe Saint-Gobain) soutient régulièrement le MHF et, en 2016, Arcelor-Mittal, lui a cédé le tableau monumental « Sidérurgie » de l’artiste mosellan Camille Hilaire (1916-2004). En 2018, l’exposition « Tour Eiffel, made in Lorraine », qui fut un succès de fréquentation, a confirmé ce renouvellement de partenariats entrepreneuriaux et le renforcement des liens privilégiés avec le site du Val de Fer de Neuves-Maisons où se développe un projet culturel et touristique de grande ampleur.

Depuis 2019, les services du MHF sont mutualisés avec ceux du Muséum Aquarium de Nancy. Conjointement, les objectifs du LAM, dans un nouveau contexte concurrentiel pour l’analyse physico-chimique des métaux appliquée à l’archéologie ou à la conservation muséale, doivent répondre à des enjeux scientifiques et commerciaux inédits. En 2019 également, l’aboutissement du PSC est suivi d’une phase de travaux pour remodeler les espaces permanents du MHF, tandis que le château de Montaigu et son domaine sont désormais parties intégrantes de son périmètre muséographique.

Conclusion

Dans les cinq décennies qui ont suivi sa création, le MHF a donc traversé la grande crise de la sidérurgie (1974-1984) et subit la baisse d’intérêt du grand public pour les questions relatives à l’histoire industrielle de ce secteur d’activité. Au début du XXIe siècle, un renouveau muséographique lui permet cependant d’être un lieu de culture scientifique et technique plus ouvert sur le grand public que lors de sa fondation. Cette évolution identique à celle de nombreux musées français, en fait un lieu qui évolue en modifiant son parcours muséographique, plutôt originellement destiné à une élite culturelle, afin de le rendre plus lisible pour des visiteurs contemporains. En poursuivant la démarche érudite et scientifique de sa création, le MHF s’est aussi rapproché de la recherche universitaire et des initiatives liées à l’innovation scientifique et technique présentes sur le territoire où il est implanté : en participant à des actions de mise en valeur du patrimoine industriel régional et par des liens régénérés avec les établissements de formation et de recherche de l’Université de Lorraine.


Le site officiel du musée

[1Odile Lassère, « Le Musée de l’Histoire du Fer de Jarville-la-Malgrange fête ses 50 ans… Et prépare les cinquante prochains », Patrimoine industriel, n° 68, juin 2016, p. 34-43 ; « Pour un musée des techniques de demain : quelle recette antirouille pour le Musée de l’Histoire du Fer ? », in Sylvie Grange (dir.), Construire le patrimoine de demain, avec qui et pour qui ?, Les dossiers de l’Ocim, juin 2018, p. 119-130.

[2En 2018, le Musée du Louvre bat son record de fréquentation en accueillant 10,2 millions de visiteurs.

[3Le Pays Lorrain, Nécrologie d’Édouard Salin, 1970, p. 5.

[4Le Pays Lorrain, Nécrologie d’Albert France-Lanord, 1993, p. 72.

[5Les Annales de l’Est, Actes du colloque « Le fer à travers les âges », Nancy, 1956, 592 p.

[6La Lorraine du fer est appelée également Lorraine sidérurgique. Voir Jean-Louis Tornatore, « Trou de mémoire. La perspective post-industrielle de "la Lorraine sidérurgique" », in Jean-Claude Daumas, La mémoire de l’industrie. De l’usine au patrimoine, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2010, p. 52. C’est un territoire géo-économique qui n’existe plus en tant que tel aujourd’hui à cause de la fermeture des mines de fer et de la forte contraction de l’activité sidérurgique régionale. Voir Pascal Raggi, La désindustrialisation de la Lorraine du fer, Paris, Classiques Garnier, 2019, 506 p.

[7Félicie Fougère, « Albert France-Lanord et la restauration du vase de Vix », Le Pays lorrain, vol. 96, no 3,‎ septembre 2015, p. 279-288.
http://www.lam-nancy.fr/historique/aime-thouvenin.htm

[8Philippe Mioche, Jacques Ferry et la sidérurgie française depuis la Seconde Guerre mondiale, Aix-en-Provence, PUP, 1993, 322 p.

[9Philippe Mioche et Jacques Roux, Henri Malcor. Un héritier des maîtres de forges, Paris, CNRS éditions, 1999, 352 p.

[10Pascal Raggi, op. cit., p. 408. En 2018, la France en a produit un peu plus de 15 millions de tonnes. Voir https://www.worldsteel.org/media-centre/press-releases/2019/Global-crude-steel-output-increases-by-4.6—in-2018.html

[11Pascal Raggi, op. cit., p. 317-330.

[12Le site de Montrouge à Audun-le-Tiche (Moselle).

[13Sur la diminution de la visibilité sociale des ouvriers de l’industrie française, voir Xavier Vigna, Histoire des ouvriers en France au XXe siècle, Paris, Perrin, 2012, p. 328.


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