Au XVIIIe siècle, la construction des frontières orientales du royaume de France a permis l’intégration de la Lorraine à la France, réduisant ainsi le rôle international de Nancy. Ce déclassement arrive tardivement, les villes de l’Est, Metz et Strasbourg ont déjà acquis des fonctions de villes de la frontière. Metz défend l’État et concentre alors les fonctions militaires avec déjà un processus de surmilitarisation mis en chantier au XVIIIe siècle par Cormontaigne sous l’égide du Maréchal de Belle-Isle.
C’est par un « accident de l’histoire » que Nancy est devenue « ville frontière », c’est-à-dire une ville qui accueille et cumule des fonctions militaires, administratives, économiques en lien avec l’interface frontalier. En 1871, le traité de Francfort conduit à une rupture territoriale de l’Est de la France et rebat les cartes dans les missions attribuées au réseau urbain. Désormais amputé par les pertes de Metz et de Strasbourg, le territoire recomposé se contracte sur Nancy. La nouvelle frontière est reportée à quelque 30 km à l’est. Nancy devient la grande ville de l’est et à ce titre elle symbolise et marque la frontière.
Cette fonction de ville frontière génère un regain d’activité pour Nancy devenue refuge des administrations, des activités économiques ainsi que des « optants ». Ces derniers forment une communauté hétérogène socialement et culturellement, conservant des liens familiaux et des attaches au-delà de la nouvelle frontière, mais unis par leur choix de la France et de la Revanche. La croissance urbaine est alors importante et la ville se développe, s’industrialise dans le quartier Meurthe-Canal, recueille des services. Elle devient un creuset d’une nouvelle identité qui s’exprime artistiquement donnant naissance à l’École de Nancy.
Exposée dans le cadre d’une frontière découverte, Nancy reçoit une importante garnison destinée à se porter rapidement à la rencontre de l’ennemi. La présence militaire passe donc de 600 hommes en 1870 à 13 000 hommes en 1880. Les derniers déploiements s’effectuent sur la rive droite de la Meurthe en 1911. La croissance urbaine de la ville est soutenue et dynamique. De nouveaux quartiers sont planifiés et s’accompagnent du lotissement de nouvelles casernes, plus particulièrement dans le nouveau quartier thermal. Le transect paysager de l’actuelle rue du sergent Blandan souligne la croissance urbaine de Nancy depuis la maison de campagne d’Eugène Corbin qui accueille aujourd’hui le Musée de l’école de Nancy, l’ancien Hôpital militaire Sédillot, les quartiers Verneau, Blandan et Molitor (ARTEM).
Le visuel de cette rue retrace à la fois la croissance urbaine et la militarisation de l’espace urbain. La victoire de 1918, annonce la réintégration des territoires d’Alsace Moselle et redistribue les fonctions militaires au sein des villes du Grand-Est. Nancy conserve son rôle de ville de garnison jusqu’à la loi de professionnalisation qui marque le départ presque complet de l’armée.
La fin du service national et les différentes lois de programmation militaire se traduisent par une réduction des effectifs militaires. Une nouvelle carte militaire se dessine avec la dissolution et le transfert de nombreux régiments. La Lorraine n’échappe pas à cette évolution avec la suppression de plusieurs sites. Nancy voit la fermeture de ses casernes qui annonce un lent processus de conversion. D’importantes emprises sont libérées, offrant des opportunités foncières pour la réalisation de projets urbains et pour la recomposition de certains quartiers. C’est le cas du quartier Haussonville - Blandan - Donop, fortement marqué par cette présence militaire. Ce processus de conversion avait été amorcé dès les années 80 avec la démolition de la caserne Donop pour construire la cité judiciaire, accueillir des activités administratives et des logements. Il se prolonge par en 1991 par la fermeture de l’ancien hôpital militaire Sédillot qui devient le siège de l’Hôtel de département de la Meurthe-Moselle. Mais la construction du campus ARTEM (Art, Technologie et Management) sur la friche de l’ancienne caserne Molitor et de la Manutention constitue l’opération majeure de renouvellement urbain et de transformation du quartier avec également le futur projet de relance du thermalisme à Nancy, « Grand Nancy Thermal », dont l’ouverture est prévue pour 2023.
Le projet ARTEM lancé en 1999 jusqu’à l’inauguration du campus en 2017 participe au renouveau des activités, commerces et services tout en renforçant la fonction résidentielle du quartier par l’installation d’une nouvelle population. Par ces emplois et ces équipements, le quartier attire quotidiennement un flux important de population venant de l’extérieur. Cette attractivité peut s’appuyer sur la desserte en transports collectifs avec la ligne du tram qui, depuis sa mise en service fin 2000, constituait déjà un axe structurant et de requalification pour le quartier. Soutenu par les collectivités publiques régionales, le campus ARTEM propose un projet urbain et universitaire innovant avec l’alliance de trois grandes écoles : l’Ecole Nationale Supérieur d’Art et de Design de Nancy (ENSAD), l’ICN Business School, école de management, enfin l’Ecole nationale Supérieure des Mines de Nancy (ENSMN). Sont également présents sur le campus l’Institut Jean Lamour, laboratoire de recherche en science des matériaux du CNRS et de l’Université de Lorraine et l’IAE Nancy. Ce pôle universitaire regroupant environ 3 500 étudiants permet des synergies dans les domaines de la création, de l’ingénierie et de la gestion. Son organisation en îlots et l’architecture de ses bâtiments permettent son insertion dans le quartier en constituant un espace ouvert autour d’une galerie-rue couverte qui longe la rue du sergent du Blandan. Il rompt avec les espaces fermés des casernes. Trait d’union entre les sites des grandes écoles, cette galerie forme un espace public nouveau associé à des cours plantées favorables à la biodiversité. De plus, certaines innovations et les matériaux utilisés pour les bâtiments s’inscrivent dans une démarche du développement durable.
L’aménagement de ce campus donne une nouvelle physionomie au quartier en lien avec d’autres lieux de ce secteur tels Nancy-Thermal et le Parc Sainte-Marie. Par ailleurs, l’architecture contemporaine de la galerie couverte fait référence par des formes inspirées de la nature, au mouvement de l’Art Nouveau et de l’École de Nancy de la fin du XIXe siècle. Cet héritage s’observe aujourd’hui encore dans le quartier par l’architecture de certaines maisons et la présence du musée de l’École de Nancy installé en 1964 dans la maison familiale d’Eugène Corbin, un des mécènes du mouvement de l’Art Nouveau. À proximité, le complexe de piscines Nancy-Thermal constitue l’autre héritage structurant du quartier qui rappelle l’activité de thermalisme du début du XXe siècle. Actuellement le projet « Nancy Grand Thermal » mise sur la renaissance de cette activité avec la création d’un centre aquatique, thermal et de bien-être.
Ainsi, le quartier Haussonville - Blandan - Donop, appelé également quartier ARTEM, montre un exemple de conversion et de reconquête d’emprises militaires. Si l’armée reste encore présente avec les casernes Verneau et Blandan dans le cadre de la base de défense de Nancy, cette empreinte militaire tend à s’effacer avec le développement des nouvelles fonctions et centralités urbaines dans les quartiers sud-ouest de la ville. Le fait militaire n’est plus aussi marqué et s’appuie désormais sur d’autres héritages telle la statue du sergent Blandan du 26e régiment d’infanterie de ligne qui rappelle le fait d’armes du sous-officier en 1842 lors de la conquête de l’Algérie et la présence de ce régiment en garnison à Nancy. Ce processus de conversion des sites militaires de l’agglomération concerne également d’autres casernes avec plusieurs projets en cours de réalisation ou à venir, tels l’écoquatier Biancamaria dans le secteur des casernes Drouot et Faron, l’installation du SDIS 54 et d’un pôle santé sur le site de l’ancienne caserne Kléber ou encore les futurs projets de pôle administratif pour la caserne Thiry. Ainsi, le retour au civil des infrastructures militaires met un terme à « l’accident historique » de la frontière. Il ne laisse qu’une empreinte que ravivent encore des marqueurs mémoriels et paysagers.
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