"Même si pour le XVIème siècle, il est d’usage de résumer que "La Lorraine ducale refuser la réforme", le luthéranisme comme le calvinisme ont pourtant leurs racines propres en Lorraine" écrit l’un des contributeurs (Sébastien Fath) de ce gros ouvrage qui retrace l’histoire de cinq siècles de protestantisme dans la région.
Des protestantismes plutôt, car, comme l’annonce le titre, tous les cultes protestants ont été pratiqués : le calvinisme, à Metz, où la moitié de la population le professait au XVIème siècle (Julien Léonard) ; le luthéranisme, dans les territoires orientaux de la Lorraine dont certains appartenaient pourtant au très catholique duché (Laurent Jalabert), l’anabaptisme, à l’Est aussi à partir du XVIIème siècle, puis dans la vallée de la Meuse (Frédéric Schwindt) dès le XVIIIème siècle ; et même, de manière plus anecdotique, l’anglicanisme à travers la construction de chapelles pour les touristes anglais dans les stations thermales vosgiennes de la fin du XIXème siècle (Mireille-Bénédicte Bouvet).
Cette pluralité de la présence protestante en Lorraine découle, bien sûr, du morcellement politique d’une région de passage qui est, de surcroît, une région d’entre-deux. L’ouvrage rappelle cependant que, sauf peut-être au XVIème siècle (Hugues Marsat), les protestants lorrains ont toujours été peu nombreux et qu’une culture politique propre à leur communauté n’a jamais pu apparaître (Jean El Gammal) malgré la présence d’un certain nombre d’entre eux parmi les grands industriels du textile vosgien au XIXème siècle (Nicolas Stoskopf, Eric Tisserand, Gilles Grivel). Mais peu nombreux ne veut pas du tout dire absents !
Or, l’ouvrage nous révèle "en creux" - et c’est peut-être l’un de ses principaux mérites - que les protestants sont devenus progressivement "invisibles" dans l’espace lorrain à partir du XIXème siècle. D’une part, en raison de leur volonté propre, les anabaptistes en particulier, professant la "non mondanité" et cherchant à être le plus discrets possible (Frédéric Schwindt) ; d’autre part, en raison de la "reconquête" catholique (Raphaël Tassin), "l’unité de foi" (Stefano Simiz) opposant un refus radical à la "liberté de conscience" (Julien Léonard) du début du XVIIème siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale au moins.
Et, sur ce plan, la Révolution française n’y a pas changé grand-chose. Car si elle a donné une existence légale aux deux grands cultes calviniste et luthérien, les protestants sont encore restés longtemps victimes d’ostracisme dans la pratique de leur foi, ce que montre notamment la question de l’usage des cimetières (Nicolas Champ) où il n’était pas rare qu’ils soient placés dans le "carré des réprouvés" à proximité des suicidés et des enfants morts sans baptême.
Pour bien des prêtres catholiques du XIXème siècle, en effet, les protestantismes sont restés des "cultes dissidents", voire ennemis, et "Le protestant" était considéré comme un "étranger", a fortiori lorsqu’il était luthérien et qu’il pratiquait son culte en allemand (Christiane Kohser-Spohn).
Car les voisins allemands étaient luthériens, et les deux annexions de la Moselle - la première surtout qui a été suivie d’un fort développement des églises luthériennes sur son territoire (Christiane Pignon-Feller) - n’ont guère atténué les préventions.
Où la question nationale se mêle encore à la question religieuse dans une France devenue laïque ...
En rendant toute sa visibilité à une communauté qui a joué, dans l’histoire de la région, un rôle bien plus grand qu’on ne l’imagine généralement, l’ouvrage remet ainsi tranquillement en cause les idées toutes faites sur le "monolithe catholique" qu’aurait été la Lorraine pendant près de cinq cents ans.
Un livre passionnant - et important.
Franck SCHWAB
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