L’insolence face aux pouvoirs, et particulièrement face aux pouvoirs oppressifs, est une vertu française qui, sans remonter à Beaumarchais ou Daumier, a été très largement illustrée dans notre histoire.
Cette vertu est ici incarnée par Marie-Louise Moru, dite Lisette, qui fut l’une des membres les plus jeunes - elle n’avait que 17 ans - du tristement célèbre convoi du 24 janvier 1943 pour Auschwitz dont Charlotte Delbo a retracé naguère la trajectoire.
Sur 230 femmes, non-juives, résistantes et pour la plupart communistes - Lisette ne l’était pas - qui composaient ce convoi, 49 d’entre elles seulement revinrent à la fin de la guerre - Lisette ne revint pas.
Son histoire - et celle de son amoureux, Louis Séché, lui aussi mort en déportation mais à Sachsenhausen - est racontée sous la forme d’une enquête journalistique (qui a vraiment eu lieu) entrecoupée de nombreux flash-back dans cette BD au graphisme efficace et aux couleurs froides tirant sur la fin vers la chaleur de la mémoire et de l’espérance.
Pour illustrer l’arrivée dans les camps, les auteurs ont eu la judicieuse intuition d’utiliser les propres textes de Charlotte Delbo (pour Auschwitz) et de Marcel Couradeau (pour Sachsenhausen) ce qui donne beaucoup de force aux dessins.
L’histoire de Lisette est celle de milliers de résistants et de déportés dont le lecteur pourra se faire une idée à travers ce récit au déroulé implacable.
Mais, comme souligné d’abord, la particularité de Lisette, outre sa jeunesse et son appartenance au sexe féminin, a été son insolence.
Il fallait bien qu’elle le fût en effet pour aller déposer, en pleine occupation, un bouquet de fleurs sur la tombe d’aviateurs anglais tombés à proximité de son lieu de résidence.
Il fallait qu’elle le fût aussi pour franchir, quelques mois plus tard le portail d’Auschwitz en chantant La Marseillaise à l’unisson de ses 229 camarades.
Il fallait qu’elle le fût encore pour que, dans les heures suivant son arrivée, tatouée, tondue et revêtue de la tenue rayée du déporté, elle osa sourire sur la photo anthropométrique qui officialisait son entrée dans l’univers de la SS.
Cette photo, tirée des archives du musée d’Auschwitz, est reproduite à la fin de l’ouvrage avec d’autres photos de Lisette et de son ami Louis fournies par leurs familles.
Car cette BD est d’abord une oeuvre de mémoire.
Mais elle peut aussi constituer pour beaucoup de néophytes - on pense à nos élèves - une excellente entrée dans la période.
Tous les thèmes qui la constituent s’y croisent en effet : le refus de la défaite, la résistance, la dénonciation, l’arrestation, la déportation, l’attente des proches, l’exigence de justice, la mémoire, la commémoration...
Dans les moments les plus sombres de notre histoire, l’insolence s’est parfois payée très cher, mais elle n’est pas pour rien une vertu française qui traverse les temps. Lisette nous l’a prouvé.
Souvenons-nous d’elle.
Franck Schwab
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