"Si je voulais risquer une prédiction, je dirais que 1939 verra la consolidation de la paix" prophétisait Pierre-Etienne Flandin dans le journal Le Temps du 27 février 1939.
Le personnage est aujourd’hui bien oublié, même s’il subsiste encore dans la mémoire collective pour avoir envoyé un télégramme de félicitations à Hitler après les accords de Munich, et pour être brièvement passé à Vichy où il succéda à Laval au gouvernement en décembre 1940, avant d’être contraint à démissionner au bout de quelques semaines.
L’homme n’était pourtant ni un imbécile ni un couard ni un extrémiste et, avant qu’il ne se fourvoie dans le défaitisme, puis dans la collaboration, il avait eu une carrière honorable et même brillante, très clairement marquée au centre-droit de l’échiquier politique.
C’est le grand mérite de cet ouvrage - issu d’une thèse soutenue en 2016 - que de nous la retracer pas à pas, d’une manière exhaustive et quasi positiviste, en ne cherchant volontairement pas à consacrer plus de pages aux aspects les plus contestables de celle-ci qu’à ses aspects plus triviaux (la gestion de la "petite patrie" qu’était pour Flandin le département de l’Yonne d’où sa famille était originaire).
L’auteur cherche avant tout à capter la vérité d’un homme, la question implicite qui court tout le long de l’ouvrage étant de savoir comment un cador de la Troisième République a pu connaître au final un tel naufrage politique et moral, et à travers lui toute une droite française.
Seule l’étude du temps long de la carrière peut fournir de bonnes clés de compréhension.
L’auteur nous en livre plusieurs.
La première, qui n’est pas la plus importante mais qui donne néanmoins son titre au livre, est celle du "centrisme impossible".
Flandin a en effet été membre - et même président à partir de 1933 - de l’une des deux grandes formations de la droite parlementaire : L’Alliance démocratique, le parti de Raymond Poincaré, d’André Tardieu et de Paul Reynaud qui, depuis ses origines pro-dreyfusardes, cherche à se placer au centre-droit de l’échiquier politique en passant, à chaque fois que possible, des accords de gouvernement avec le centre gauche radical.
Or, dans l’entre-deux-guerres, ces accords de gouvernement sont rendus plus difficiles par la montée en puissances des partis "collectivistes" dont l’émergence favorise une bipolarisation de la vie politique peu favorable aux ambitions personnelles de Flandin.
La deuxième clé est la détestation profonde du libéral qu’est Flandin pour la doctrine socialiste, son hostilité allant non seulement aux communistes mais aussi aux socialistes de la SFIO qu’il combat farouchement, et peut-être plus encore au moment du Cartel des Gauches qu’à celui du Front Populaire.
La troisième clé, la plus importante sans doute, est celle de la notabilité car avant d’être un "centriste" - d’ailleurs tout relatif, car il n’a jamais eu d’adversaires à droite dans son département - avant d’être un libéral sincèrement attaché aux grands principes de 1789, avant d’être un "anti-collectiviste", Flandin est d’abord un notable, issu d’une famille qui comportait déjà avant lui plusieurs parlementaires.
En tant que tel, il a eu très tôt conscience de son importance et de son aptitude "naturelle" à diriger les hommes.
La quatrième clé enfin est la pratique du pouvoir que l’homme a exercé au plus haut niveau entre 1929 et 1936.
Or, dans cette pratique, il a échoué quasiment partout : dans le maintien des réparations dues à la France, dans la lutte contre les effets de la crise économique, dans la réforme de l’Etat, dans la politique de containment face à l’Allemagne nazie...
Cela fait beaucoup pour un homme qui se considérait né pour gouverner.
Et pour réussir !
S’il n’a pas réussi, c’est donc la faute des autres : ses collègues du Parlement, les bolcheviques, les Anglais, les Américains...
Tant pis pour eux, "tant pis pour les régimes périmés" comme il le déclare au journal Le Bourguignon du 17 novembre 1940.
Les Allemands et Vichy me tendent les bras, croit-il alors. Peu importe le régime que je servirai, l’essentiel étant que je sois toujours aux premiers rangs, car je suis indispensable.
Est-ce la vérité de Pierre-Etienne Flandin ?
L’historien laisse tout ouvert et se refuse de trancher, mais c’est l’une des lectures que l’on peut faire de l’homme après avoir lu le formidable travail de bénédictin réalisé par l’auteur.
Faut-il risquer de conclure par cette fière sentence prononcée par Flandin dans son fief d’Avallon le 11 juin 1939 :
"Malheur aux peuples qui, dans les difficultés de la vie moderne, confient leur destin aux médiocres" ?
Franck Schwab
Président de la Régionale
Membre du Conseil de gestion
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