La commission de recherche sur le Rwanda, dite "Commission Duclert", a bénéficié d’un très large accès aux sources des différentes institutions de la République qui, toutes, ont joué pleinement le jeu.
Seule véritable exception, mais notable et désolante : L’Assemblée nationale dont le Bureau a refusé aux membres de la Commission la consultation des archives de la Mission d’Information Parlementaire sur le Rwanda de 1998 (dite "Mission Quilès").
Dans la perspective des travaux de cette MIP, des "cellules Rwanda" avaient été installées au sein des ministères concernés pour répondre aux demandes d’archives des parlementaires en constituant des dossiers et en rédigeant des fiches les présentant.
Mais le rapport Duclert nous dit également que les "cellules Rwanda" ont aussi travaillé à identifier dans les archives des "points de vulnérabilité", c’est-à-dire des points sensibles dont l’étude pouvait éventuellement mettre en difficulté le discours convenu des autorités françaises sur le rôle joué par notre pays au Rwanda. "Si l’on part de l’hypothèse, non vérifiée faute d’accès aux archives de la MIP, écrivent les membres de la Commission, que le travail des "cellules Rwanda" avait pour objectif de tout savoir des dossiers afin d’anticiper sur ce que pourraient découvrir les parlementaires, et que par ailleurs ces fiches, bien que non classifiées, avaient vocation à rester confidentielles, il est possible d’estimer que les analyses présentées abordent le fond des dossiers." !
En explorant les archives à leur disposition, les membres de la Commission ont cependant retrouvé trois de ces fiches établies au Ministère de la Défense par l’Etat Major des Armées.
Celle du 24 avril 1998 est particulièrement intéressante. Elle pointe d’abord un conflit qui s’est produit au Rwanda, dans la première partie de l’année 1991, entre deux militaires français de haut niveau. Le conflit "est venu, nous dit la fiche, d’une différence d’appréciation des risques potentiels liés au recrutement des FAR [Forces Armées Rwandaises, pro-gouvernementales]. En poste depuis trois ans, [le premier militaire] qui avait connu les massacres de 1988 au Burundi, estimait qu’il fallait recruter une armée nationale et non monoethnique et de la seule région du président, le Nord-Ouest ; pour ce faire, une armée de 10 000 h en fin 1991 (au lieu de 4 000 en oct. 1990) paraissait être un objectif raisonnable (le FPR [Front Patriotique Rwandais, anti-gouvernemental] alignait environ 3 000 h initialement, puis 4 000 h). [Le second militaire] a préféré laissé faire le commandement rwandais qui a porté ses effectifs à 26 000 h du Nord-Ouest mal sélectionnés, mal entrainés, peu désireux de se battre - sauf à la machette contre les Tutsis sans défense" conclut l’auteur de la fiche !
Un autre paragraphe de la même fiche est titré : "Participation ou présence [française] aux interrogatoires de prisonniers". Citons-le également : " Dans la "culture du massacre rwandaise", on ne conserve pas de prisonniers : "Nous n’arrivons pas à nourrir nos populations, nous n’allons pas nourrir ces gens-là"... Par ailleurs, les CR d’interrogatoire portaient en exergue : "avant de mourir, le prisonnier a déclaré ..." A titre d’exemple, ajoute la fiche, pour permettre aux instructeurs de travailler, l’A[ttaché de] D[éfense] avait négocié personnellement avec le président H[abyarimana] la survie de 100 prisonniers ; au bout de trois mois, il en a obtenu 10 ! Dans ces conditions, une participation de cadres français aux interrogatoires paraît exclue, même si certains d’entre eux ont pu être présents ou témoins aux camps de [...]"
Si toutes les fiches sont de la même eau, on comprend qu’elles soient embarrassantes pour les autorités de l’époque ! Mais en démocratie, la vérité n’a pas de prix. Et il aurait été heureux que nos parlementaires eussent voulu faire preuve d’un peu plus de courage face à une Commission qui cherchait à dire enfin toute la vérité...
Franck Schwab
Président de la Régionale de Lorraine de l’APHG
Membre du conseil de gestion de l’APHG
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