« Avec le système [de la plantation] organisé depuis Madère et Sao Tomé [par les Portugais], s’entremêlent à une échelle industrielle l’exigence de productivité, la monétisation des corps noirs, la contractualisation des transactions internationales et une violence structurelle qui préfigure celle des Amériques.
Cela n’est pas fortuit. Colomb est parfaitement familier de ce modèle productif portugais fondé sur la valorisation violente de la nature et des hommes.
En 1478, il se rend à Madère afin d’y acquérir 2400 arrobes de sucre. Son épouse, Filipa Perestrello, est par ailleurs la fille d’un des plus grands propriétaires de l’île. La combinaison extractivisme-esclavage est ainsi un paradigme dont il mesure l’intérêt et, dès son deuxième voyage, il apporte aux Antilles des plants de canne à sucre afin d’y imposer la monoculture telle qu’il l’a vue à Madère.
Ses lettres témoignent de son exaltation à l’idée de développer le plus largement possible la culture du sucre en Amérique.
L’historien Pierre Dockès suggère à cet égard que "la rapidité avec laquelle Christophe Colomb et bien d’autres pensent au sucre est telle que l’on peut penser que la découverte d’îles pour le sucre et comme source d’esclaves faisait partie du plan initial ou, tout au moins, est devenu le “plan B” après la déception initiale (la route des Indes et des épices n’est pas ouverte et il n’y a pas d’or)".
Le destin de Colomb est plus encore lié à la plantation sucrière lors de son troisième voyage transatlantique, qui voit les colons espagnols qui l’accompagnent apporter eux aussi des plants de canne à sucre aux Antilles, ainsi que des techniques et des financements afin de les cultiver.
La première sucrerie est ouverte à Saint-Domingue en 1504. Le fils de Colomb, Diego, "gouverneur des Indes" en 1508, est nommé à la tête de cette lucrative plantation sucrière, reposant évidemment sur le travail servile.
On y réplique le modèle productif expérimenté à Madère : "On y retrouve le mode d’exploitation latifundiste, le domaine intégré (la culture et la transformation industrielle), une technologie, un système de machines (les moulins), un mode d’organisation du travail (centralisation de la “gestion”, concentration de l’habitat), le rapport social esclavagiste “en chiourme”, enfin la tendance à privilégier la monoculture avec ses aspects mortifères (l’espace tend à se vider de sa population libre laborieuse, l’économie devient très fragile aux aléas du marché du sucre)" [Pierre Dockès].
Surtout, après la disparition des autochtones, le recours à l’importation d’esclaves est systématique.
Le premier voyage transatlantique d’un navire négrier dont nous ayons la trace est arrivé à Saint-Domingue, sur l’île d’Hispaniola, en 1525. Il a quitté le marché aux esclaves de Sao Tomé avec 200 prisonniers, et sera suivi de dizaines d’autres navires à destination de Cuba, Porto Rico et la Jamaïque dès la fin des années 1520.
“L’engrenage négrier” ne se comprend ainsi qu’à la lumière d’une dilatation géographique du paradigme sucrier par-delà l’Atlantique, mais aussi d’une invention historique de l’Afrique comme, pour le dire avec les mots de Marx, "garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires". »
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