La politique du knout

Recension de l’ouvrage de Marie Mendras "La guerre permanente. L’ultime stratégie du Kremlin", Calmann-Lévy, 2024, 315 pages, 21.50 euros.
jeudi 21 mars 2024
par  Franck SCHWAB
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« La Russie était sur le pied de guerre depuis le printemps 2021. Pourtant, les Européens n’ont pas cru à l’agression russe, les Ukrainiens non plus. Comment imaginer une guerre totale en Europe sans raison et sans but ? Certains pays européens, dont la France, restaient paralysés face à l’énigme Poutine. Ils ne comprenaient pas, ou ne voulaient pas voir, ce désir irrépressible de donner l’assaut, frapper, écraser. Lancer une guerre totale pour annihiler un Etat et une grande nation était tout simplement inconcevable pour nos gouvernements, pour les Ukrainiens, et probablement pour l’armée russe. » nous dit l’auteure de cet ouvrage.

La violence débridée mise en oeuvre par Poutine contre le peuple ukrainien avait pourtant été employée auparavant, à peu près de la même manière, contre les Tchétchènes, les Géorgiens, les Syriens, et déjà en 2014 contre les Ukrainiens du Donbass, tant il est vrai, selon le Rousseau des Considérations sur le gouvernement de Pologne (cité dans Le Grand Robert de la langue française) que certains Russes, défenseurs zélés des "valeurs traditionnelles", « regarderont toujours les hommes libres comme des hommes nuls, sur lesquels deux seuls instruments ont prise, savoir l’argent et le knout ».

L’ouvrage remet en perspective la guerre actuelle menée par Vladimir Poutine en Ukraine en retraçant, de façon claire et concise, l’histoire des conflits armés successifs que celui-ci a conduits depuis son arrivée à la tête de la Russie.

Où l’on constate, au fil des pages, que la guerre est, depuis l’origine, consubstantielle de l’exercice du pouvoir poutinien, la "politique du knout" s’exerçant sur les peuples appartenant aux territoires de la « sphère des intérêts privilégiés » (les anciennes républiques soviétiques) mais aussi, dans une sorte de dialectique infernale, la tyrannie à l’égard des uns renforçant la tyrannie à l’égard des autres, sur le peuple russe lui-même, comme le montrent la disparition progressive de ses droits civiques et le sort tragique connu par des opposants comme Anna Politkovskaïa, Boris Nemtsov ou dernièrement encore Alexeï Navalny.

Derrière la volonté proclamée de rétablir par tous les moyens la puissance de la "grande Russie", il y a donc pour l’auteure - à importance au moins égale - la peur du principe de liberté que l’Occident symbolise et donne en exemple, sans toujours s’en rendre compte lui-même, au reste du monde, même si certaines de ses élites, fascinées par la "virilité" poutinienne, y sont peut-être moins attachées aujourd’hui qu’hier...

Cette peur panique d’une liberté contagieuse est peut-être même, pour l’auteure, la principale raison de l’invasion de l’Ukraine, Marie Mendras écrivant « La guerre d’Ukraine n’est pas une guerre de conquête impériale. C’est l’entreprise insensée de destruction d’un grand pays et de ses habitants qui ont choisi l’Etat de droit et l’appartenance à l’Europe des démocraties ».

Sinon, pourquoi la guerre en effet, l’histoire et la géographie permettant à la Russie d’exercer une large influence en Ukraine sans avoir recours à un moyen aussi extrême ?

L’homme Poutine donne ici le sentiment d’être seul et paranoïaque, et l’impasse dans laquelle il conduit la Russie s’apparente à une fuite en avant.

Car son pouvoir est peut-être plus faible qu’il n’y paraît.

Dans l’un de ses précédents ouvrages (Russie, l’envers du pouvoir, Odile Jacob, 2008), l’auteure avant en effet montré que la société russe avait, plus que les autres, par habitude, fatalisme et résignation, une forte propension à accepter en silence l’autorité qui lui était imposée sans que cette soumission signifiât pour autant adhésion au discours tenu par le régime.

Si le coût de la guerre en Ukraine devient trop fort pour elle, qui sait comment elle finira par réagir ?

En tout cas, c’est pour l’instant la "politique du knout" qui s’impose aux Russes comme aux Ukrainiens, comme à nous-mêmes Occidentaux à travers la menace d’une guerre nucléaire régulièrement brandie contre les « hommes nuls » que nous sommes censés être.

L’auteure nous appelle cependant à ne pas tomber dans ce bluff, à ne faire aucune concession à Vladimir Poutine et à continuer de soutenir à fond l’Ukraine pour le triomphe final des principes qui sont les nôtres.

Une démonstration et un propos très convaincants dont feraient bien de s’inspirer tous nos politiques.

Franck Schwab


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