Le sang appelle le sang, constate-t-on souvent en temps de guerre, ici quand, avec le débarquement de Normandie, un territoire devient pour la Résistance un champ de bataille parcouru par les soudards de l’armée allemande et ses multiples informateurs - le pays de Lanvaux dans l’est du Morbihan - que l’ancienne autorité vichyste s’est effondrée et que la nouvelle autorité gaulliste ne l’a pas encore remplacée.
Ce temps du sang s’est étendu sur les mois de juin, juillet et août 1944.
Il a plus précisément eu pour lieu le village de Plumelec distant d’une vingtaine de kilomètres de la commune de Saint-Marcel où se tint, le 18 juin, le plus haut fait d’armes de la résistance bretonne, 2500 maquisards repoussant pendant toute la journée les assauts furieux de la Wehrmacht.
Mais dans les jours qui suivirent, la répression qui s’abattit sur la population civile du pays de Lanvaux a été féroce.
De nombreux habitants de Plumelec furent arrêtés par les sbires de l’Abwehr, puis salement torturés avant d’être assassinés.
Pour leurs concitoyens, ces événements tragiques étaient la conséquence de dénonciations et il fallait trouver les coupables.
Dans ce contexte, les acteurs du drame qui se noua très vite furent deux coupables “idéales” puisque femmes - depuis la nuit des temps, les accusations de trahison et de sorcellerie ont en effet toujours bien plus porté sur des femmes que sur des hommes - puisque étrangères à la région aussi, car les deux futures victimes, la mère et la fille, étaient originaires du Nord et résidaient dans la commune comme réfugiées depuis 1940.
L’ouvrage, qui se présente sous la forme d’une enquête rigoureuse, reconstitue méthodiquement l’histoire de leur double assassinat.
Il raconte un drame familial puisque la plus jeune des victimes laissa une orpheline de sept ans qui vit sa mère enlevée par les exécuteurs et dont les descendants - retrouvés par l’auteure - ont été progressivement associés à l’enquête.
Mais il raconte aussi un drame local puisque le souvenir refoulé des assassinats a pesé sur la conscience des villageois depuis 1944 (ne serait-ce qu’à travers la présence de la sépulture des deux femmes dans le cimetière communal) et que plusieurs habitants de la commune ont finalement accepté de témoigner dans l’enquête pour aider l’auteure à lever l’omerta.
Au terme de cet ouvrage passionnant, on peut affirmer sans conteste qu’en se plaçant très loin des légendes “rose” et “noire” de la Résistance pour révéler ce double drame, l’auteure - elle-même descendante de résistants - a fait une très bonne action car elle a redonné par son travail de mémoire la paix à la famille des deux victimes comme bientôt certainement à un village jusqu’à aujourd’hui malade du non-dit.
Quant au lecteur qui n’est ni membre de cette famille ni habitant de ce village, le livre lui donne une image bien plus dure, mais assurément aussi bien plus véridique, de ce temps de folie que fut la Libération, époque héroïque où la violence pouvait venir de partout et où la vie humaine ne tenait souvent qu’à un faible fil.
Franck Schwab
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