Dans Rome, ville ouverte, le célébrissime film de Roberto Rossellini qui fonda le néoréalisme et qui rendit dès 1945 un vibrant hommage à la résistance italienne, les personnages principaux finissent arrêtés par les Allemands sur la dénonciation de la maîtresse de l’un d’entre eux, un gestapiste laissant dédaigneusement à celle-ci la possibilité de choisir le manteau de fourrure de sa préférence pour prix de sa trahison.
On imagine mal aujourd’hui un nouveau Roberto Rossellini s’emparer de ce personnage féminin très négatif pour chercher à retracer dans une fiction choc la vie d’une « femme libre au tempérament incandescent » (dixit l’éditeur) qui sut braver le qu’en-dira-t-on et la bien-pensance résistante de son époque afin de s’affirmer en tant que modèle d’indépendance pour toutes les femmes.
C’est pourtant ce que n’a pas hésité à faire, dans un premier roman déjà encensé par la critique (Vous ne connaissez rien de moi, JC Lattès) l’écrivaine Julie Héraclès à propos du personnage bien réel, cette fois, de Simone Touseau, la fameuse “ tondue de Chartres ” photographiée par Robert Capa à la libération de la ville.
Grâce au travail des historiens Gérard Leray et Philippe Frétigné (La Tondue, Tallandier, 2020), on sait à peu près tout aujourd’hui sur celle-ci : admiratrice d’Hitler - et donc antisémite - membre du parti fasciste de Doriot, collaboratrice affichée et provocante, travailleuse volontaire en Allemagne, dénonciatrice de résistants.
Mais sa destinée a été si "romanesque" qu’elle ne peut que faire rêver toutes les femmes "modernes" d’aujourd’hui !
Et les résistants qui vinrent l’arrêter (« Pue-de-la-gueule » et « Oeil-de-pirate » » dans le roman...) étaient a contrario si prosaïques et "bas de plafond"... Bas les pattes, sales brutes !
A quand un prochain roman « librement inspiré » de la vie de René Bousquet ou de Maurice Papon, ces hommes « libres au tempérament incandescent » qui, eux aussi, ont été si mal compris par leurs contemporains et à qui seuls de vrais romanciers sauront rendre la justice que toute la société leur doit ?
Rossellini, réveille-nous. Ils sont devenus fous !
Franck Schwab
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