LE MEETING ELECTORAL EN FRANCE DE 1945 A NOS JOURS
Colloque pluridisciplinaire, Université de Lorraine
Metz, les 10 et 11 octobre 2024
Le meeting électoral constitue un lieu, un temps et un mode important de l’action politique. La dernière campagne présidentielle l’a encore démontré avec les contrecoups du meeting raté de Valérie Pécresse au Zénith, les violences ayant émaillé celui d’Eric Zemmour à Villepinte, et l’inventivité des rassemblements numériques, immersifs et olfactifs de Jean-Luc Mélenchon... ou de son hologramme. Si l’histoire du meeting en France de la fin du XIXème siècle aux années 1930 a fait l’objet du travail de Paula Cossart, la période suivante n’a pas donné lieu à une synthèse systématique d’ensemble. On dispose néanmoins de travaux monographiques en histoire ou en science politique portant sur certains aspects du sujet, qui abordent les meetings de certains partis, ou la place des journalistes couvrant ces meetings. Plus récemment, l’étude menée par Claire Sécail (2017) a permis de donner un regard plus systématique sur la campagne présidentielle de 2017. Néanmoins, le politique ne se réduit pas à la campagne présidentielle et, dans ce domaine, les travaux sont encore plus rares. Faire campagne suppose de suivre des équipes de campagne sur le terrain local dans des activités variées, y compris le porte-à-porte, les « réunions d’appartement » et le tractage sur les marchés pour appréhender, au-delà des seuls meetings, l’évolution du répertoire des campagnes électorales. Dans le cadre d’un colloque pluridisciplinaire réunissant à Metz les 10 et 11 octobre 2024 historiens du politique, politistes, sociologues et spécialistes d’information-communication, trois laboratoires de l’Université de Lorraine (CREM, CRULH, et IRENEE) entendent, avec le soutien de la Société française d’histoire politique (SFHPo) interroger l’histoire du meeting électoral, de 1945 à nos jours, en questionnant l’évolution de ce dernier,en matière de modalités, contenus, médiatisation, publics et enjeux.
Plusieurs axes de questionnement peuvent être envisagés. Une première problématique consistera à apprécier la redéfinition progressive du meeting, notamment dans son organisation pratique, sous la double influence de l’évolution du cadre politique (changements de régime, nationalisation des campagnes politiques et recours plus systématique à des écuries politiques et partisanes autour du Président, évolution des acteurs et des cultures politiques...) et des bouleversements du paysage médiatique (poids successif de la radio, de la télévision puis de l’internet). S’il est probable que le nombre de meetings électoraux ait baissé sur la période, comment expliquer ce phénomène de polarisation (autour de meetings moins nombreux mais plus imposants et réalisés à des fins de médiatisation) ? Une des premières attentes pourra d’ailleurs être de cartographier et quantifier les transformations des meetings selon les périodes. Cette progressive concentration des moyens autour de meetings majeurs tenus dans les grands centres urbains n’est-elle pas à relier aux effets de la Vème République (phénomène majoritaire réduisant l’offre électorale, personnification accrue de la vie politique, présidentialisation et nationalisation du système), comme le notaient dès 1984 Patrick Lehingue et Daniel Gaxie, qui analysaient dans Enjeux municipaux les effets de ce processus sur les campagnes électorales au niveau local ? On peut aussi s’interroger sur quand prend fin le vieux meeting « contradictoire », cette originale formule héritée de la fin du XIXème siècle où l’adversaire était autorisé à porter la contradiction ? On cite souvent les législatives de 1967 et notamment la célèbre réunion publique opposant Georges Pompidou à ses adversaires de gauche (François Mitterrand à Nevers et Pierre Mendes France à Grenoble) comme chant du cygne de cette pratique. Qu’en est-il réellement ? Les « grands oraux » thématiques organisés par des associations, lobbies ou médias, où défilent successivement les principales têtes d’affiche d’une campagne (du moins, celles qui l’ont accepté) sont-ils la forme contemporaine de cet exercice, sans affrontement direct mais avec unité de lieu, de public et possibilité de se répondre en décalage temporel ? Quand s’estompe le petit meeting « préau d’école » avec son estrade sommaire peu ou pas sonorisée au profit du meeting réputé « à l’américaine » avec ses produits dérivés militants et organisé autour de ses moyens audiovisuels ? Il est probable que la diffusion d’images de ces réunions via la télévision, a transformé l’organisation de ces meetings en amenant les candidats à « mieux maîtriser » les règles d’une communication télévisuelle (notamment en ajustant le temps du meeting aux temps médiatiques - le JT du 20h par exemple...). Plus près de nous, à partir de quand le développement du direct, d’abord via les chaînes d’information en continu, puis sur l’internet et les réseaux socionumériques transforme le meeting au point, selon certains observateurs, d’en redéfinir les codes, les enjeux et les publics ? La diffusion en ligne des meetings permet-elle d’attirer un public plus jeune intéressé par des formes plus directes et spontanées de participation politique ? L’évolution du format (durée, lieu...) n’est pas non plus sans conséquence sur l’enjeu de sécurité : rassembler des centaines, voire des milliers de spectateurs, inviter une figure politique parfois connue et en responsabilité, suppose d’assurer une protection efficace, via un service d’ordre approprié, face aux risques d’entrave et de perturbation plus ou moins forts, les contextes et la couleur politique de l’organisateur. En effet, l’histoire des meetings est aussi une histoire d’obstructions et de violences. Le meeting peut être l’affirmation d’une contradiction parfois violente : de la prise à partie de journalistes venus couvrir l’évènement aux irruptions d’une opposition dans les tribunes ou sur scène. Autant d’évènements qui peuvent servir ou ternir « l’image » du candidat ou de la candidate ou du parti et où détonne, a contrario, la volonté du candidat Macron en 2017 de montrer qu’il faisait de la politique autrement en s’arrêtant et admonestant son public pour qu’il ne siffle pas ses adversaires.
Un autre angle d’approche, complémentaire du premier, consiste à penser le meeting en lien avec l’évolution de la communication et l’émergence de formes nouvelles d’éloquence politique. Si jusqu’au début des années 1960, le meeting électoral semble encore en la matière regarder vers des formes traditionnelles de rhétorique héritées de la IIIème République (le terme « réunion publique » est d’ailleurs encore souvent employé), les choses changent vite par la suite sous l’effet de la diffusion des modèles réputés américains de communication politique, inspirés du marketing. L’ère des « spin doctors » bouleverserait les règles du meeting au risque pour certains d’en aseptiser le contenu. Orateurs déroulants face à leur prompteur des éléments de langage attendus et testés en amont par les instituts de sondage auprès d’échantillons-type, organisateurs reproduisant de manière parfois mécanique des effets venus du spectacle, certaines réunions publiques ressemblent à des shows calibrés au conformisme insipide. Même les « supporters » sont méticuleusement positionnés autour de la scène pour produire de « belles images » en lien avec un électorat ainsi esthétisé. La place des journalistes est également étudiée dans la salle, mais à mesure que le direct s’impose, les images sont fournies et contrôlées par les équipes de campagne. Ce qui entraîne un « renouvellement des mises en scène télévisuelle de la politique », observé par Pierre Leroux et Philippe Riutort (2013), à l’aune d’une confusion des rôles entre les journalistes et les communicants. Ce colloque interrogera ce processus de professionnalisation des communicants et organisateurs de meeting, ainsi que les transformations de l’écriture journalistique. Les journalistes sont de facto moins intéressés par les propos sur les enjeux énoncés que par un décryptage de la stratégie, de la performance scénique, des logiques de ralliement, par un repérage des absents/absentes et des présents/présentes au meeting, par la mesure des « effets » présumés sur les sondages, etc. Reste à voir si cette « américanisation » parfois dénoncée n’est pas plus ancienne qu’on ne le pense. Après tout, dès les années 1960, des chanteurs engagés à droite comme à gauche chauffaient souvent la salle avant l’arrivée du leader, quand ce n’était pas des sportifs qu’on invitait sur scène pour dynamiser le public et moderniser son image. Le paradoxe est alors que ces meetings, s’ils sont moins nombreux, en sont de plus en plus onéreux pour les équipes. Cette mobilisation accrue de moyens n’est pas sans conséquence sur la vie démocratique du pays : les « petits » candidats ont-ils les ressources financières suffisantes pour organiser ces grandes messes militantes et s’aligner face aux principaux partis ? L’évolution vers le meeting spectacle (l’organisation de ce type de meeting étant de plus en plus proposée par des sociétés de communication dans le cadre d’une externalisation croissante de services autrefois assurés par le parti) contribue à une représentation désacralisée du politique ; peut-elle présenter à terme un risque de confiscation de la parole politique ? À moins de jouer délibérément la carte du meeting de proximité, ce vers quoi semblent s’orienter certaines formations par conviction ou nécessité. Réfléchir aux meetings suppose aussi de prendre en compte les cultures politiques en jeu et leurs spécificités au risque, sinon, de trop essentialiser le meeting électoral ou de n’y chercher que ces logiques marketing. Droites, gauches, centres et extrêmes pensent et vivent différemment le meeting où ces familles politiques projettent leurs systèmes de valeurs et de représentations, leur héritage et leur expérience en termes de communication. Là où pour certains, il s’agit surtout d’entretenir la ferveur militante d’un petit groupe, il convient ailleurs de toucher d’abord un électorat plus large ou montrer qu’on fait masse. Partis de masses, partis de cadres, partis d’électeurs et désormais « partis mouvements » ou « partis plateformes » ont des rapports différents au meeting, qu’il conviendra d’étudier.
En lien avec ce qui précède, un troisième regard porterait sur les publics, les enjeux et les effets réels ou supposés du meeting. Dit plus clairement : à qui parle-t-on au juste ? Les publics semblent souvent multiples tant les auditeurs en face de l’orateur sont rarement ceux à qui il s’adresse « réellement » même s’il convient de ne pas les oublier (quitte parfois à s’assurer de leur ferveur via des militants qui « font la claque »). Un autre public moins direct est souvent visé par des médias qui démultiplient la portée des propos tenus au-delà de la seule salle du meeting. Avec le développement des réseaux socionumériques dans les années 2010, on observe la professionnalisation d’un militantisme partisan en ligne. Le meeting devient le lieu et le moment d’une mise en visibilité de cette activité intense des militants sur les comptes des partis. Le meeting a aussi une seconde vie médiatique via les replays, les « petites phrases » retenues sur les RSN, sur les bandeaux des chaînes d’information en continu jusqu’aux mèmes qui détournent des micro-moments. Par ailleurs, il peut y avoir des effets de circularité de la communication politique entre meetings et propagande officielle : mise en avant du slogan / de l’affiche dans la scénographie, spots diffusés pour « chauffer la salle », spots incluant en retour des images de meetings avec des foules enthousiastes et des drapeaux, jouant sur la symbolique politique. Au cours de ce colloque, il est également attendu de ne pas être attentif aux seules mutations dans le temps long mais aussi à celles survenant dans le temps d’une campagne. La configuration politique du moment peut influer sur le contenu et les enjeux de l’événement. On ne dira pas forcément la même chose, de la même façon, ni aux mêmes personnes au début et à la fin d’une campagne, on prendra a priori en compte les spécificités des lieux où les meetings se déroulent et leurs problématiques propres. Il est possible (mais cela resterait à vérifier) qu’un parti en situation de pouvoir organise moins de meetings qu’en situation d’opposition tant cette dernière nécessite de davantage galvaniser, dénoncer et mobiliser.
Enfin, le meeting ne se résume pas à sa médiatisation. Le meeting consiste aussi, parfois surtout, à « rassembler » et rassurer ses partisans sur la justesse de leur choix (plutôt que celui d’un candidat proche), à faire entretenir auprès de ses soutiens le sentiment de communauté d’appartenance idéologique. Leur réunion permet d’engager une dynamique qui portera le candidat au cours de la campagne en affichant une force militante, en démontrant une capacité de conviction. Au risque, parfois, d’un grand écart entre l’affichage public et médiatique d’une ligne partisane moins radicale et d’une présence sur place des fractions les plus engagées (et donc les plus idéologiques) de son mouvement. Cette dernière remarque pose la question des effets du meeting électoral. S’il est compliqué de mesurer empiriquement d’éventuels effets performatifs, un meeting fait-il gagner une élection, participe-t-il des anticipations de victoire ? A contrario, un rassemblement raté, par un public insuffisant ou une prestation rhétorique médiocre, peut s’avérer contre-productif pour ses soutiens, mais surtout pour les commentateurs de la vie politique, avec des effets de cadrage médiatique sur la suite de la campagne. De même, la multiplication excessive de rassemblements altérera la trésorerie d’un candidat (qui devra de toute façon rendre des comptes aux autorités surveillant les fonds publics de campagne). Sur quelles croyances et justifications les entourages des candidats s’appuient-ils pour mettre en branle ces organisations lourdes et exigeantes en ressources humaines et financières ? Ce sont là autant de perspectives pouvant guider les propositions de communication, même s’il est évident que ce texte de cadrage est loin d’avoir épuisé les questionnements autour du meeting électoral.
Comité d’organisation du colloque
François AUDIGIER (Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Lorraine)
Nicolas HUBÉ (Professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Universitéde Lorraine)
Anne JADOT (Maîtresse de conférences en science politique à l’Université de Lorraine)
Laurent OLIVIER (Maître de conférences en science politique à l’Université de Lorraine)
Jérôme POZZI (Maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Lorraine),
Céline SÉGUR (Professeure en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Lorraine)
Outre les membres du comité d’organisation, participent au Comité scientifique :
Philippe ALDRIN (Professeur de science politique à l’IEP d’Aix-en-Provence)
Éric ANCEAU (Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Lorraine)
Carole BACHELOT (Professeure de science politique à l’Université de LiIle)
Clément DESRUMEAUX (Maître de conférences en science politique à l’Université Lumière-Lyon)
Jean EL GAMMAL (Professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université de Lorraine)
Fabienne GREFFET (Maîtresse de conférences en science politique à l’Université de Lorraine)
Pierre LEROUX (Professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université catholique de l’Ouest)
Sandrine LEVEQUE (Professeure de science politique à l’IEP de Lille)
Marie NEIHOUSER (Chercheuse post-doctorale, Université catholique de l’Ouest, Angers)
Gildas RENOU (Maître de conférences en science politique à l’Université de Lorraine)
Jessica SAINTY (Maîtresse de conférences en science politique à l’Université d’Avignon)
Claire SECAIL (Chargée de recherche CNRS-CERLIS)
Anaïs THEVIOT (Maîtresse de conférences en science politique à l’Université catholique de l’Ouest)
Jacques WALTER (Professeur émérite en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Lorraine)
Modalités d’envoi des propositions de communication
Les propositions, sous la forme d’un résumé de 500 mots maximum, seront envoyées au plus tard le 30 octobre 2023 par mail à l’adresse : edc-colloque-meeting @ univ-lorraine . fr (enlevez les espaces pour retrouver l’adresse mél réelle) .Les résumés mentionneront les matériaux empiriques sur lesquels les communications s’appuieront (exemples non limitatifs : archives, données statistiques, comptes de campagne, observations ethnographiques, entretiens qualitatifs, enquêtes par questionnaires, discours prononcés en meeting, analyse de contenu de corpus médiatiques), le cas échéant avec une dimension longitudinale.
Ce résumé sera accompagné, dans un fichier distinct mais envoyé à la même adresse, d’une courte présentation des (co-)auteur-e-s : situation professionnelle, discipline de rattachement, titre de la thèse ‑ en cours ou soutenue ‑ et deux ou trois publications significatives. Les jeunes chercheur-e-s, doctorant-e-s et post-doctorant-e-s, sont très fortement invité-e-s à proposer leurs communications. L’évaluation des propositions par le comité scientifique sera anonymisée et le comité d’organisation du colloque établira le programme, qui sera diffusé fin 2023.
Bibliographie indicative
Philippe ALDRIN et Nicolas HUBÉ, Introduction à la communication politique, De Boeck supérieur, 2022.
Paula COSSART, Le meeting politique. De la délibération à la manifestation (1868-1939), Presses universitaires de Rennes, 2010.
David DOUYERE et Pascal RICAUD, dirs, « YouTube, un espace d’expression politique ? », Politiques de communication, 13, 2019.
Pierre LEROUX et Philippe RIUTORT, « Renouvellement des mises en scènes télévisuelles de la politique », Questions de communication, 24, 2013.
Jérôme POZZI (dir.), De l’attachée de presse au conseiller en communication, pour une histoire des spin doctors, Presses universitaires de Rennes, 2019.
Sandrine ROGINSKI et Gersende BLANCHARD, dirs, « La professionnalisation de la communication politique en question : acteurs, pratiques, métiers », Les Enjeux de l’information et de la communication, 21, 2020.
Claire SÉCAIL, Les meetings électoraux, scènes et coulisses de la campagne
présidentielle de 2017, Presses universitaires du Septentrion, 2020.
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