La Seconde Guerre mondiale est souvent présentée par les historiens comme ayant été, par bien des côtés, la revanche de la Première.
Les "injustices" du traité de Versailles, jointes aux conséquences sociales de la crise économique de 1929, auraient quasi mécaniquement poussé une Allemagne humiliée dans les bras d’Adolf Hitler.
L’auteur montre ici que cette reconstruction simpliste du passé ne tient pas et que le basculement du monde vers la Seconde Guerre mondiale ne s’est finalement joué que très tard, durant l’hiver 1932-1933, autour de trois événements majeurs aujourd’hui bien oubliés : l’échec de la conférence du désarmement de Genève réunie pour réduire les tensions internationales ; l’échec de la conférence économique mondiale de Londres réunie pour lutter contre la crise ; la reconnaissance par le Japon de l’Etat fantoche du Mandchoukouo qu’il venait de créer au nord-est de la Chine dans une logique purement coloniale.
De ces trois événements, le traité de Versailles n’était pas responsable car, s’il avait de graves défauts, il avait aussi quelques qualités, et notamment celle d’avoir créé une Société des Nations - ancêtre de l’ONU - qui s’était donné pour tâche d’assurer la "sécurité collective", c’est-à-dire la paix dans le monde, par l’arbitrage et la négociation de tous avec tous.
Qu’en pleine conférence sur le désarmement, le Japon - Etat membre de la SDN - annonce au mépris de la Chine - autre Etat membre de la SDN - sa reconnaissance du Mandchoukouo était un énorme pied de nez à la souveraineté des Etats et aux principes de la sécurité collective.
Il allait fragiliser définitivement l’ensemble de l’ordre international et permettre un peu plus tard à Mussolini, puis à Hitler, de justifier leurs différentes agressions contre l’Ethiopie et la Tchécoslovaquie au nom des "droits" de leurs peuples respectifs.
N’en sommes-nous pas un peu au même point de bascule aujourd’hui après l’agression d’un Etat membre de l’ONU - l’Ukraine - par un autre Etat membre de l’ONU - la Russie - et avant l’invasion attendue de Taïwan par la Chine ?
Les "injustices" dont l’Occident se serait naguère rendu coupable à l’égard de la Russie et de la Chine - comme du "Sud" au sens large - ne sont pas plus sérieuses, pour justifier l’actuel désir de puissance des Etats dictatoriaux russe et chinois, que les "injustices" du traité de Versailles, dans les années 1930, pour justifier le désir de puissance de l’Allemagne nazie.
Et cela d’autant plus, comme l’auteur nous le rappelle, que les principales mesures vexatoires du traité de Versailles à l’égard de l’Allemagne avaient été annulées, dès avant la fin de l’année 1932, à travers l’abandon des réparations à verser pour les dégâts commis pendant la Première Guerre mondiale et la reconnaissance de "l’égalité des droits" de l’Allemagne avec les autres grandes puissances dans le domaine de l’armement...
Ces concessions majeures n’ont pourtant pas empêché les conservateurs allemands de s’allier quelques semaines plus tard avec Adolf Hitler dans une "union de toutes les droites" dont on connaît le résultat étincelant.
Mais, même si l’auteur ne le souligne pas vraiment, "l’épouvantail" soviétique hantait toutes les têtes au cours de cet hiver 1932-1933 alors que le monde n’en a plus de comparable aujourd’hui.
Il pouvait, dans le contexte de l’époque, expliquer bien des choses, et notamment la passivité des anglo-saxons face à l’arrivée d’Hitler au pouvoir.
Reste le dindon de la farce français qui se retrouve en 1933 bien seul et bien embêté par cette subite montée des tensions - car il a une frontière avec l’Allemagne, lui - mais où le pacifisme, après avoir été dominant à gauche, va progressivement gagner les rangs de la droite dans les années qui vont suivre. Allez savoir pourquoi !
Un livre passionnant qui, comme tous les grands livres d’histoire, nous fait réfléchir de façon troublante sur notre inquiétant présent.
Franck Schwab
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