L’auteur nous rappelle que la population qui vivait dans le Vercors à la fin de l’Occupation était d’origine multiple puisqu’en faisaient partie non seulement les autochtones mais aussi de très nombreux « Républicains espagnols, Italiens antifascistes, Juifs français de longue date naturalisés ou étrangers, Polonais notamment, sans oublier les réfugiés alsaciens-lorrains » arrivés par vagues successives dans les années qui précédèrent les événements de l’été 1944.
L’auteur, né après le conflit, est issu d’une famille d’allogènes, son grand-père, juif nancéien, ayant trouvé refuge avec les siens à Saint-Martin-en-Vercors grâce à l’aide active d’un réseau de prêtres catholiques.
Le travail qu’il a entrepris ici se présente essentiellement comme une enquête à plusieurs tiroirs.
Sur les membres de sa famille, d’abord : le grand-père à la personnalité et au parcours véritablement extraordinaires ; l’oncle, les tantes et, plus intimement, le père qui était alors adolescent.
Sur les habitants de Saint-Martin, ensuite, et sur le rôle qu’ils ont joué dans l’aide aux réfugiés comme dans le soutien à la Résistance.
Sur les massacres de l’été 1944, enfin, et leur mémoire actuelle.
L’ouvrage superpose donc différents niveaux d’étude, mais il trame fort habilement tous les fils de son propos et il est conduit de main de maître par un auteur qui a réussi à obtenir de nouveaux témoignages très précieux ; qui a su nourrir sa réflexion à la lecture des meilleurs ouvrages parus sur le Vercors et qui écrit, de surcroît, remarquablement bien.
Que nous dit-il au final ?
Premièrement : Que la Résistance dans le Vercors a été avant tout un phénomène politique : « Loin de la représentation fréquemment véhiculée de jeunes réfractaires au STO, les combats du Vercors mobilisèrent d’anciens combattants de 1914-1918 et de 1939-1940, des patriotes révoltés contre l’Occupation, des républicains révulsés contre la collaboration, de fervents catholiques arcboutés contre l’idéologie nazie, des protestants, des francs-maçons, des militants gaullistes, des radicaux, radicaux-socialistes, socialistes et communistes. »
On est à mille lieux de de la vision "anthropologique" et volontairement apolitique de Christian Ingrao !
Deuxièmement : Que la population du Vercors, autochtone comme allogène, a très massivement soutenu la Résistance, même s’il y eut sur le plateau, comme à Nancy et partout ailleurs en France - la famille Ginsbourger est malheureusement bien placée pour en parler - des délateurs et des voleurs de juifs.
Mieux même, l’auteur nous montre que la population du Vercors a tout simplement rendu la Résistance possible par sa complicité active avec elle.
On est à mille lieux, cette fois-ci du Chagrin et la Pitié dont le "venin" - pour reprendre le terme de Pierre Laborie - continue d’influencer la perception de la guerre par le grand public...
Au terme de son enquête, l’auteur constate que les deux grandes vérités que sont le caractère politique de la Résistance du Vercors et la participation massive de la population à son action sont aujourd’hui occultées, les commémorations actuelles privilégiant le souvenir des combattants et des victimes : de combattants héroïques mais ultra-minoritaires et de victimes nombreuses mais passives.
Comme si ces victimes avaient été totalement extérieures à des événements qu’elles auraient été contraintes de subir !
Comme si, même, les résistants s’étaient imposés par la force à des populations qui n’en voulaient pas, ainsi que le laisse entendre, par exemple, une récente BD destinée à la jeunesse !
Ce beau livre de mémoire et d’histoire rétablit la vérité et valide - peut-être sans en avoir conscience - la définition de la Résistance que donne François Marcot dans l’avant-propos de son Dictionnaire historique de la Résistance (Robert Laffont, 2006) : « Ainsi, pour nous, c’est une caricature et un détournement de sens que de limiter la Résistance à une minorité, équivalente à celles des "collaborateurs", et supposée être, comme ceux-ci, isolée dans le pays. Réduire la majorité de la population à une masse résignée, voire complice et s’accommodant tant bien que mal de l’Occupation, conduit à occulter un fait majeur : la Résistance fut un processus social, elle n’a pu exister, vivre et se développer que dans la dynamique des liens tissés dans et avec la société française. »
L’ouvrage peut se lire comme la preuve par neuf de cette définition.
Franck Schwab
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