Comme nous l’avions écrit, il y a juste un an sur ce site, dans l’article intitulé "Une guerre coloniale au coeur de l’Europe", c’est bien une guerre coloniale du XIXème siècle finissant que mène la Russie à l’Ukraine, sur l’exact modèle de celles qu’avait menées la France au Maroc en 1925 ou l’Italie mussolinienne à l’Ethiopie en 1935.
Mais ce n’est pas du tout l’avis de Madame Polony dans son dernier éditorial de Marianne qui, si elle fournit un soutien minimal à l’Ukraine qu’il lui serait difficile de refuser ouvertement (« Elle a droit à l’aide militaire occidentale, même s’il est parfaitement légitime que cette aide soit progressive et que les dirigeants américains et européens aient pour priorité d’éviter l’embrasement » ; « Vladimir Poutine est un autocrate assassin, enfermé dans sa logique délirante [...] »), n’hésite cependant pas d’ajouter, feignant de vouloir l’ignorer (« Qu’importe ! »), que la « pente pro-occidentale [de l’Ukraine], comme celle de la Géorgie, a été encouragée depuis la fin de la guerre froide par les millions d’investissement américain et par le travail de cabinet de lobbying » et que « les dignitaires de la CIA ont déclaré ouvertement depuis des années que c’était là, pour eux, que se jouait la confrontation avec une Russie qu’ils entendaient détacher de tout l’espace slave. »
A partir de ce constat, on peut se demander légitimement si l’Ukraine est bien une vraie nation (les Marocains et les Ethiopiens n’en formaient pas une, c’est bien connu) et si le véritable responsable de la guerre dans cette partie de l’Europe ne serait pas plutôt l’Amérique.
Le lecteur est poussé dans cette voie par l’auteure qui manie à la louche "l’US bashing" - vieille tradition française toujours assurée de succès depuis la fin du XVIIIème siècle - en évoquant une Amérique « dont l’impérialisme s’exerce par l’économie, par le droit, mais aussi, faut-il le rappeler, par la déstabilisation » (ce que n’oserait bien sûr jamais faire le régime poutinien si respectueux des droits de l’Homme comme de la Charte de l’ONU) et appelant à débarrasser l’Europe "du messianisme américain, qui n’est que la caution morale de l’impérialisme."
Debout les damnés de la terre, donc ! Natacha Polony, nouveau Franz Fanon ?
Les Américains ici directement visés sont avant tout les néoconservateurs qui conduiraient la politique des Etats-Unis depuis 1991 dans les ornières que l’on connaît ( « les centaines de milliers de morts en Irak, le chaos, les tortures et les marchés aux esclaves en Libye » ), dont tous les médias occidentaux seraient stupidement à la remorque (« Qu’il est doux de se prendre pour André Malraux ou Jean Moulin ! ») et qui présenteraient le conflit actuel comme une "guerre des civilisations" devant conduire à un affrontement radical où la montée aux extrêmes serait hélas inévitable ( « Qu’il est confortable de voir le monde en noir et blanc ! » ).
« L’Occident tellement sûr de sa supériorité morale, tellement enivré de son récit » - ou plutôt ses élites néoconservatrices - mènerait donc, par dessus la tête de ses peuples, une guerre de civilisation aux conséquences extrêmement négatives contre la malheureuse Russie qui n’en peut mais.
Ce n’est évidemment pas la volonté de Vladimir Poutine qui, dans son discours du 21 février dernier, s’est contenté de dire aux Russes : « Regardez ce qu’ils font avec leurs propres peuples : la destruction des familles, des identités culturelles et nationales, la perversion et la maltraitance des enfants jusqu’à la pédophilie, sont déclarés comme étant la norme, c’est la norme de leur vie. Et les prêtres sont obligés de bénir les mariages entre homosexuels. Qu’ils fassent ce qu’ils veulent ! », l’orateur se référant ensuite « aux Saintes Ecritures et livres fondamentaux de toutes les autres religions du monde » : « Tout y est dit, y compris que la famille est l’union d’un homme et d’une femme. Mais même ces textes sacrés sont aujourd’hui remis en question » (cité par L’Obs du 21 février 2023).
Vladimir Poutine, nouveau Martin Luther ?
Vladimir Poutine, grand réformateur de l’humanité ?... avec la bénédiction d’Edgar Morin comme de Jürgen Habermas - cités également dans l’article de Madame Polony - et surtout du pape ! (« Quand le pape François pulvérise ce discours occidentaliste sur cette guerre, quand il alerte contre le réarmement du monde, il n’est pas seulement un Argentin tiers-mondiste. ») ?
Mais, heureusement, nous dit l’auteure, si après un an de guerre, les Occidentaux continuent d’être aveuglés par la propagande américaine, le reste du monde, lui, n’est pas dupe puisqu’il « récuse cette vision simpliste et manichéenne [de la guerre des civilisations]. Pas seulement les Chinois qui chercheraient à couvrir leurs propres turpitudes à Taïwan, mais aussi l’Inde, le Brésil, la très grande majorité de l’Afrique et de l’Amérique latine. Des démocraties, pour beaucoup, qui ne considèrent pas que nous incarnions le respect du droit et de la liberté [...] ».
C’est effectivement ce qu’a montré le dernier vote à l’assemblée générale des Nations Unies où la résolution du 24 février condamnant sans réserves l’invasion de l’Ukraine a été adoptée par 141 voix contre 7 et 32 abstentions. Bien vu, Madame Polony !
Pour finir, avec des accents presque churchilliens, l’auteure appelle crânement la France et l’Europe à retrouver leur indépendance puisque « [l’Union Européenne] est plus que jamais un satellite de ces Etats-Unis qui lui menaient, avant l’agression russe, une guerre commerciale violente, à coups de milliards de dollars de sanctions contre ses entreprises, à coups d’intimidation autour des sanctions illégales, décidées unilatéralement par Washington contre de nombreux pays du globe. » Fanon, toujours !
Au terme de cette lecture, qui de l’Amérique ou de la Russie poutinienne cherche-t-elle à nous faire prendre des vessies pour des lanternes, Madame Polony ?
Et lequel de ces deux pays est-il, au final, notre véritable ennemi ?
Pour répondre à cette question, peut-être pouvons-nous rappeler qu’une question du même genre s’était déjà posée aux Français en décembre 1939, au moment où l’URSS agressait subitement la petite Finlande.
Pour certains commentateurs de l’époque, alors que nous étions face à Hitler sur la ligne Maginot depuis le mois de septembre et que nous nous installions dans une "drôle de guerre" qui se terminerait par notre effondrement militaire de mai-juin 1940, notre vrai ennemi n’était plus l’Allemagne nazie mais l’Union soviétique contre qui ils demandaient d’entrer aussi en guerre...
Cherchez l’escroquerie intellectuelle d’alors.
Franck Schwab, ancien président de la Régionale de Lorraine de l’APHG
Commentaires