A l’image de Pierre Vidal-Naquet qui fut un "guetteur du présent", François Hartog se veut un "guetteur du temps". Il est, en tout cas le grand historien du temps perçu - dans ses déclinaisons présente, passée et future - à travers les âges et les sociétés.

On peut d’abord lire ce petit ouvrage comme une introduction à l’ensemble de son oeuvre et notamment à son important dernier livre ¹.

L’auteur reprend d’abord l’exposition des différents "régimes d’historicité" qu’il a été amené à reconnaître au cours de ses travaux : le présentisme chrétien apocalyptique du monde antique où seul le présent compte en raison de l’imminence de la fin du monde annoncée par Dieu ; le régime ancien qui court, vaille que vaille, jusqu’à la Révolution française où les croyants se résignent à ce que la fin du monde soit retardée et dans lequel le passé (la tradition) est censé éclairer tout le présent ; le régime moderne qui triomphe avec la Révolution française et la sécularisation de la société occidentale, où c’est désormais le futur qui éclaire tout le présent à travers la foi en un progrès infini ; le présentisme contemporain enfin qui s’impose après 1945 en raison de l’évolution technologique (le "tout, tout de suite" de l’ère numérique) et surtout de la fermeture du futur causée par Auschwitz et le naufrage du rêve communiste qui habitait un certain nombre d’êtres humains.

Dans la dernière partie de son ouvrage, l’auteur repère un ultime régime d’historicité en cours de formation qui serait une sorte de régime moderne inversé ou négatif puisque, de nouveau, le futur éclairerait notre présent mais un futur noir marqué par la fin annoncée de notre espèce consécutive au bouleversement climatique.

On le voit, ce livre qui commence comme l’introduction à la lecture d’une oeuvre historique majeure se termine par des interrogations cruciales sur le devenir du monde dans lequel nous vivons. Et à ce propos, les pages sur Berlin, le Covid, le réchauffement climatique ou Poutine sont particulièrement brillantes.

De manière très concrète, l’ouvrage permettra enfin à tous les collègues qui enseignent en collège ou en lycée de mieux "penser" l’histoire qu’ils enseignent à leurs élèves, c’est-à-dire de mieux la mettre en perspective.

¹François Hartog, Chronos, l’Occident aux prises avec le temps, Gallimard, 2020.