Quand la vie bascule

lundi 18 avril 2022
par  Franck SCHWAB
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Recension de l’ouvrage Nancy pendant l’Occupation, Une prison et des rafles oubliées ?, février 2022, 191 pages, 20 euros.

Ecrit par Claude Favre, Jean-Pierre Harbulot et Patrice Lafaurie.

Edité par l’Association Départementale des Déportés, Internés, Résistants et Patriotes (ADIRP) de Meurthe-et-Moselle.

Courrier électronique pour obtenir l’ouvrage (hors librairies nancéiennes) : favrec620@gmail.com

Site de présentation du livre : https://www.nancy-pendant-occupation.weebly.com

Toutes sortes de de gens sont passés par la prison Charles III de Nancy dont cet ouvrage révèle qu’elle a été, sous l’Occupation, la plaque tournante du système répressif vichysso-hitlérien pour les trois départements de la Lorraine non annexée.

Les autorités françaises et allemandes y travaillaient main dans la main, en pleine confiance, pourrait-on dire.

Les Allemands y transféraient à leur gré du "quartier" français au leur, les détenus dont ils voulaient s’occuper personnellement, comme le résistant Gabriel Mouilleron, fusillé en mai 1944.

Ils se permettaient même d’y faire la leçon aux autorités françaises ainsi que le souligne un étonnant document où le chef de la FeldKommandantur locale prend le ton d’un "maître d’école" pour tancer le préfet de Meurthe-et-Moselle sur les risques de dysenterie et de contagion liés à la mauvaise alimentation et à la mauvaise hygiène du lieu. Français, pas propres ! Corrigez-moi tout cela, amis vichystes ...

Plusieurs milliers de personnes, venues de toute la région, ont vu leur vie basculer en entrant dans cette prison, soit parce qu’elle y ont brièvement connu, dans le cadre de la Shoah et juste avant le Centre de séjour surveillé d’Ecrouves, leur première étape sur le chemin sans retour vers Auschwitz, à l’instar du grand rabbin Haguenauer et des autres notables juifs de la ville ; soit parce que, sur une durée souvent bien plus longue, elles y ont été internées pour "propagande communiste" et / ou pour faits de résistance, à l’instar des très nombreux futurs fusillés (Alfred Gauthier, le premier d’entre eux), déportés (Paul Teitgen, dénonciateur ultérieur de la torture en Algérie) et même guillotinés (Marie Durivaux, en Allemagne).

L’ouvrage évoque enfin une dernière catégorie "d’usagers" de la prison - et son histoire fait l’objet de toute la première partie du livre - celle des 300 Nancéiens considérés ni comme juifs ni comme résistants ni comme communistes - bien qu’il y en eut dans le nombre - mais arrêtés en pleine rue ou chez eux lors des deux grandes rafles du centre-ville des 2 et 5 mars 1943, que les Allemands effectuèrent pour satisfaire les besoins en main d’oeuvre de leur machine de guerre au moment même où Vichy mettait pourtant en place le STO.

Les raflés furent pour la plupart directement déportés dans les camps de concentration nazis, en particulier dans celui de Mauthausen, en Autriche, où 120 d’entre eux se retrouvèrent internés.

Leur parcours est minutieusement retracé par les auteurs de l’ouvrage. Ceux-ci nous prennent littéralement par la main pour nous introduire dans la complexité d’un système concentrationnaire qui, s’il était bien totalement inhumain, était aussi, contrairement à une opinion encore courante, tout sauf absurde et illogique ainsi que l’a dernièrement démontré l’historienne Adeline Lee 1.

A Mauthausen, comme partout dans ce système, les détenus circulaient en permanence du camp central aux camps annexes - les "Kommandos" - où, devenus esclaves des SS, cognés continument et nourris d’une maigre "soupe", ils étaient astreints à différentes tâches plus exténuantes les unes que les autres.

Un Nancéien sur trois n’a pas revu sa ville.

On suit ainsi le destin d’un Jean Camonin qui, devenu trop faible pour satisfaire les SS, fut gazé comme six autres raflés des 2 et 5 mars au château d’Hartheim, centre d’euthanasie proche du camp, reconverti en lieu d’assassinat pour les concentrationnaires devenus "inutiles".

A l’autre bout du spectre, on suit a contrario le destin d’un Camille Becquer qui réussit à s’évader d’un Kommando de montagne où il était astreint à la construction d’un tunnel (le Loibl Pass) pour rejoindre la résistance yougoslave avec laquelle il se battit jusqu’à la fin de la guerre.

Pendant ce temps-là, le maire de Nancy qui, quatre jours après la rafle du 5 mars était allé honorer de sa personne une conférence publique de la Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme 2, mettait les petits plats dans les grands pour recevoir en grande pompe Fernand de Brinon 3, le même chef de cette LVF et l’un des grands chantres de la collaboration franco-allemande. Il a bien sûr sa rue au centre-ville. Les raflés, par contre, attendent toujours.

Nancy sous l’Occupation, une ville "sans histoire", vraiment ?

Merci en tout cas aux auteurs pour ce travail si rigoureux et si novateur.

1 Voir l’article "Frères de souffrance" sur notre site
2 L’Echo de Nancy du 11 mars 1943. Consultable sur le site kiosque.limedia.fr
3 L’Echo de Nancy du 17 juillet 1943 (même site)

Franck Schwab


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