La mise en oeuvre, cette année scolaire 2019-2020, de la première session des E3C dans le cadre de la réforme du baccalauréat a laissé tout le monde profondément insatisfait, les professeurs d’histoire-géographie que notre association représente bien sûr, mais aussi les autres acteurs du système éducatif, à commencer manifestement par l’Inspection Générale qui, dans une note dont le site de France Inter a rendu compte le 27 février dernier ("La réforme du bac épinglée par l’Inspection Générale de l’Education Nationale") a souligné que s’est "instituée une confusion entre la logique de la certification et la logique de la formation qui devrait être au coeur de la réforme", l’Inspection Générale ayant également regretté que les E3C soient "d’une complexité excessive pour les parents" et que les élèves se retrouvent "constamment sous la pression de l’évaluation".
Si les E3C sont d’une complexité excessive pour les parents et s’ils mettent les élèves constamment sous la pression, il en va également de même pour nous, professeurs d’histoire-géographie.
Nous devons en effet traiter un nouveau programme de Première, certes fort intéressant, mais rendu démesuré par le très grand nombre de "points de passage et d’ouverture" qu’il faut obligatoirement étudier ; et cela en évaluant, comme à l’accoutumée, nos élèves dans les différentes compétences attendues en fin d’année.
Nous nous retrouvons ainsi pris entre le marteau de la formation et l’enclume de l’évaluation, les compétences comme les connaissances devant s’acquérir à la vitesse grand V.
C’est même une véritable course de haies dans laquelle nous sommes désormais où plus aucun "pas de côté" pédagogique ne nous est permis et où toute erreur par rapport à notre programmation initiale devient très vite "fatale".
Quant aux élèves de Première qui n’ont pas - tant s’en faut - la maturité de leurs camarades de Terminale (à un an d’écart, la différence reste importante), ils n’ont plus devant eux toute une année scolaire libre d’examens (sauf le Français) qui permettait à leurs prédécesseurs d’envisager les anciennes épreuves avec sérénité.
Pire même, les E3C leur apparaissent comme des "épreuves couperet" non pas dans la perspective de l’obtention du bac - dont ils savent que l’immense majorité d’entre eux l’aura - mais dans la perspective du "feu vert" que leur donnera ou non Parcoursup à leur entrée dans la filière postbac de leur choix.
Que dire, dans ce contexte, de la pression non avouée qui pèse sur nous (et que nous nous mettons aussi nous-mêmes) pour que nos élèves aient les meilleures notes possibles aux E3C comme au contrôle continu ?
Que dire aussi de la bouteille à l’encre que constitue la Banque Nationale des Sujets dans laquelle nous nous noyons littéralement lorsque nous cherchons à utiliser sa navigation pour le moins opaque puisque plusieurs centaines de sujets y sont mis en vrac et qu’il faut perdre des heures avant d’identifier ceux qui correspondent aux thèmes étudiés en classe, une chatte ne pouvant pas espérer y retrouver ses petits ?
Que dire encore de l’absurdité écologique et sanitaire qui consiste à scanner les copies des E3C pour les redistribuer à des correcteurs qui travaillent pour la plupart dans le même établissement et qui pourraient sans problème s’échanger les originaux papier ?
Que dire enfin sur la lourdeur matérielle de ces épreuves qui prennent finalement beaucoup de temps sur notre horaire normal d’enseignement et dont la répétition devrait largement faire perdre le temps qu’il est prévu de regagner par l’allégement des épreuves à la fin de l’année de Terminale ?
A partir de la fin du mois de janvier prochain et pendant trois ou quatre mois, nos lycées seront en effet en période d’évaluation quasi permanente avec une session d’E3C pour les Terminales qui s’intercalera entre deux sessions d’E3C pour les Premières. Personne n’aura plus le temps de souffler.
D’autre part, on peut se demander ce que feront, dans nos matières, les élèves de Terminale après avoir passé leur dernière épreuve d’E3C. Presque plus rien, hélas, on peut le craindre.
Car, alors que Parcoursup sera joué, ce n’est pas la peur d’avoir une, deux ou trois mauvaises notes de plus en Histoire-Géographie sur l’ensemble du contrôle continu de Première et de Terminale qui les poussera à continuer de travailler, voire même, pour un certain nombre, à continuer de venir en cours. Qu’en sera-t-il alors de l’absentéisme ?
Pour toutes ces raisons, nous demandons l’abandon pur et simple des E3C à la prochaine rentrée scolaire 2020-2021.
L’idéal serait bien sûr de revenir aux anciennes épreuves du bac, quitte à les simplifier car elles seules garantissent vraiment le caractère national de l’examen et car, nous l’avons rappelé, le temps d’enseignement qu’elles font prétendument "perdre" en juin est finalement du temps gagné sur le reste des années de Terminale et de Première.
Si cela n’était pas possible pour des raisons autres que de "bonne gestion" pédagogique et administrative, il est au moins absolument nécessaire de réduire la pression énorme qui pèse désormais sur les épaules de nos élèves et sur les nôtres.
Il faut encore et surtout que nous puissions continuer à travailler chacun comme nous l’entendons - sous le contrôle bienveillant de nos inspecteurs - en nous permettant d’adapter nos objectifs et notre progression à chacune de nos classes - voire, si possible, à chacun de nos élèves - et non pas en nous obligeant à nous caler sur des dates impératives d’examen qui nous enferment dans un carcan d’airain.
C’est notre liberté pédagogique qui est ici en jeu, notre vraie liberté d’enseignant sans laquelle, depuis Condorcet, il n’y a pas d’instruction républicaine possible.
Souhaitons que la raison finisse par l’emporter.
Franck Schwab
Président de la Régionale de Lorraine de l’APHG
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