Le tout récent Dictionnaire historique de la sidérurgie vient combler un vide puisque, jusqu’à ce jour, cette industrie, qui a pourtant joué un rôle national et international considérable, ne disposait pas d’un outil de connaissance synthétique. C’est chose faite grâce à ce Dictionnaire dirigé par Philippe Mioche, Eric Godelier, Ivan Kharaba et… Pascal Raggi que nous avons eu le plaisir de recevoir.
Pascal RAGGI – maître de conférences (HDR) en histoire contemporaine à l’université de Lorraine, membre du CRULH (centre de recherche universitaire lorrain d’histoire). Spécialiste d’histoire industrielle et sociale, Pascal Raggi travaille sur la sidérurgie depuis sa thèse sur Les mineurs de fer au travail, (Éditions Serpenoise, 2007). L’auteur s’est donc beaucoup intéressé aux évolutions du travail des « gueules jaunes », mais aussi à leur sociabilité et leur mobilisation syndicale. Depuis quelques années, il travaille plus spécifiquement sur les recompositions de ce secteur, sur la désindustrialisation et ses conséquences (La désindustrialisation de la Lorraine du fer, Garnier, 2019).
L’une des grandes originalités du dictionnaire est son caractère résolument multidisciplinaire. En effet, il réunit une centaine d’auteurs, français et étrangers, en associant des sociologues, des archivistes, des statisticiens, des ingénieurs, des musicologues, mais aussi – et c’est assez rare pour être souligné – des érudits locaux et des anciens professionnels de la sidérurgie… sans oublier bien-sûr des géographes et des historiens. Impossible de citer tous les auteurs, mais on peut souligner que les 4 co-directeurs de l’ouvrage représentent bien les différents pôles de la sidérurgie française : le Sud avec Philippe Mioche qui est professeur à l’université d’Aix-Marseille et s’intéresse notamment à Fos-sur-Mer ; le Nord avec Eric Godelier qui a beaucoup travaillé sur Usinor ; le Centre avec Ivan Kharaba qui a beaucoup travaillé au Creusot ; et l’Est avec Pascal Raggi. En plus des fers de lance du projet, on trouve des contributions de Dominique Barjot, Patrick Fridenson, Jean-Noël Jeanneney, Gérard Noiriel, Hervé Joly, Thomas Le Roux, Danièle Tartakowsky, Nadège Mariotti….
Alors que trouve-t-on dans ce dictionnaire ? En tout 280 notices, depuis la lettre "A" comme acier à la lettre "W" comme Wendel, que l’on peut regrouper en quelques catégories :
Les notices qui concernent l’évolution du travail du fer, de la fonte et de l’acier : les matières premières (coke), les outils (le fameux marteau-pilon du Creusot), les évolutions techniques.
Les entrées sur les espaces et territoires de la sidérurgie : les pays producteurs (l’Allemagne, la Belgique, ou la Japon ont le droit à leur notice), des régions emblématiques (comme le bassin de Longwy), certains sites de production (la Grande Forge de Buffon, Le Creusot), mais aussi des centres archives importants (Archives Nationales du Monde du Travail)…
Les notices sur des personnalités liées à la sidérurgie : qu’ils s’agissent de portraits de maitres des forges (la dynastie Schneider bien-sûr), de figures majeures du patronat contemporain (comme Lakshmi Mittal), des savants et des ingénieurs (Henri Fayol, l’un des premiers promoteurs en France de l’organisation rationnelle du travail), des ouvriers et syndicalistes (Jacques Chérèque pour n’en citer qu’un), ainsi que d’éminents spécialistes de la sidérurgie (comme l’incontournable père Serge Bonnet)…
Enfin, les aspects culturels au sens large sont traités sur le même plan que l’économie, les techniques ou l’histoire sociale : avec des entrées sur les savoirs liés à l’industrie du fer, des notices sur la sidérurgie dans la peinture et dans les film, ou encore dans la musique (Bernard Lavilliers qui a chanté la Fensch vallée a le droit à sa notice)…
En parcourant les pages de ce dictionnaire on s’aperçoit que la sidérurgie est finalement un objet d’étude au croisement de plusieurs approches historiques :
L’histoire économique permet de retracer les évolutions du secteur. En France, la production avait bénéficié de l’élan industriel de la Libération et des Trente Glorieuses, même si elle stagne et baisse depuis 1974 en même temps que les emplois diminuent.
Ces évolutions économiques sont liées à des choix politiques. La sidérurgie française s’est longtemps construite à l’abri du protectionnisme, avant d’être confrontée au libre-échange et à la mondialisation, qui n’a pas toujours été « heureuse » pour cette industrie.
L’histoire sociale est évidemment convoquée à travers l’évolution du monde du travail, les rapports entre le patronat et le monde ouvrier, les mouvements sociaux et les manifestations contre les fermetures de site et les « plans de licenciement » …
L’histoire globale, l’histoire comparée ne sont pas négligées : le lecteur trouvera des notices sur les pays producteurs d’acier, qui évoque les interactions en termes de marchés, de concurrences, et de collaborations entre ces pays.
L’histoire militaire est aussi liée à la sidérurgie, puisque l’acier est associé à la fabrication des canons et à la puissance militaire.
L’histoire des sciences et des techniques et l’histoire culturelle sont également mobilisées à travers les savoirs liés à la sidérurgie et à l’histoire des représentations de cette industrie.
Enfin, l’histoire environnementale a sa place dans ce dictionnaire, car la sidérurgie est une industrie très polluante qui a aujourd’hui rendez-vous avec le changement climatique.
Est-ce pour autant une industrie en fin de vie ? Rien n’est moins sûr… En France, on a le sentiment d’une fin de la centralité sidérurgique dans les débats et les représentations. Pourtant, à l’échelle de la planète, on n’a jamais produit autant d’acier qu’aujourd’hui et ses usages se sont banalisés.
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