A) Nicolas Patin, Krüger, un bourreau ordinaire, Fayard, 2017, 300 pages.
L’ouvrage fait le portrait et décrit la trajectoire, en trois cents pages très denses, d’une personnalité de second plan de l’appareil nazi qui occupa néanmoins de très hautes fonctions en Pologne occupée puisqu’il y fut, entre octobre 1939 et novembre 1943, Hohere SS-und Polizeiführer (HSSPF), Chef suprême de la SS et de la police.
A ce titre, Friedrich-Wilhem Krüger y supervisa le génocide à travers la création des camps d’extermination, la destruction du ghetto de Varsovie et l’assassinat final des trois millions de juifs polonais.
Mais il y fut aussi chargé de la lourde tâche du "maintien de l’ordre" contre la résistance polonaise et de la très ambitieuse politique nazie de colonisation du territoire qui entraîna, dès 1939, des déplacements massifs de population.
L’auteur pointe l’aspect improvisé et contradictoire de ces différentes politiques.
Comment maintenir l’ordre tout en déplaçant des centaines de milliers de personnes ? Comment favoriser l’exploitation économique du territoire tout en assassinant les travailleurs juifs des ghettos ?
Il éclaire aussi le fonctionnement de l’appareil nazi à travers l’évocation des luttes de pouvoir entre ses membres car, Krüger, peu "diplomate" et obnubilé par l’accomplissement de ses missions, ne s’entend avec personne, ni avec le Gouverneur général Frank, ni avec les représentants de la Wehrmacht.
Mais l’intérêt principal du livre est ailleurs, dans la réflexion que l’auteur entreprend, dans la dernière partie de son ouvrage, sur le statut de bourreau acquis par Krüger en Pologne.
Comment cet individu sans grande envergure et plutôt "bas de plafond" mais honnête à sa manière dans ses rapports avec ses chefs et initialement élevé dans le strict respect des normes sociales a-t-il pu devenir l’un des plus grands bourreaux de la guerre ?
Comment a-t-il ressenti sa condition de bourreau ?
Et en quoi peut-on dire aujourd’hui qu’il a été un bourreau « ordinaire » au regard de sa génération et de sa classe sociale ?
Trouver des réponses à ces questions ne va pas de soi mais l’auteur domine totalement son sujet et il a pu en outre s’appuyer sur des documents inédits laissés par cet individu, en particulier son journal intime commencé au début de la Première Guerre mondiale, alors qu’il était tout jeune officier de l’armée impériale, et poursuivi sur une partie de l’entre-deux-guerres.
Une étude passionnante qui nous montre, si besoin en était, qu’Hitler n’a jamais été seul.
B) Jérôme Fehrenbach, Von Galen, un évêque contre Hitler, les Editions du Cerf, 2018, 417 pages.
« On désigne sous le nom d’hagiographie l’ensemble des textes dans lesquels sont racontés la vie et les miracles des saints » nous dit le Dictionnaire encyclopédique du Moyen-Age d’André Vauchez (Le Cerf, 1997).
C’est bien à une hagiographie - au sens médiéval du terme - que nous avons affaire avec cet ouvrage, Monseigneur von Galen, cet évêque allemand qui s’opposa au nazisme dans toute une série de sermons, ayant d’ailleurs été - heureuse coïncidence - béatifié par Benoît XVI en 2005.
Sans vouloir nier les grandes qualités d’écriture du livre ni les connaissances approfondies du biographe, on est cependant en droit de se demander s’il s’agit bien d’un ouvrage historique tant le regard porté par l’auteur sur son sujet est peu distancié.
L’Eglise catholique a toutes les qualités ; la noblesse westphalienne a toutes les qualités ; et Monseigneur von Galen, qui fut à la fois prélat romain et noble westphalien, a eu forcément toutes les qualités, sa vie ayant été une "longue marche", tranquille et ferme, vers la sainteté.
Ite missa est !
Franck Schwab
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