Les fantômes de la droite allemande du début des années Trente hantent ce livre qui décrit avec une verve mordante la mort d’une démocratie dont l’agonie est suivie chroniquement par l’auteur, de manière détaillée et quasiment clinique, entre mars 1930 - formation d’un gouvernement Brüning de droite conservatrice - et janvier 1933 - arrivée d’Hitler à la chancellerie - l’agonie s’accélérant à partir de juin 1932, sous les gouvernements von Papen et von Schleicher, suite aux véritables "saignées" des médecins de Molière qu’ont alors été deux dissolutions successives du Reichstag.
Le fond du tableau présenté dans l’ouvrage est celui d’une situation institutionnelle totalement bloquée puisque, divisé en trois blocs inconciliables (nazi, communiste et "centriste"), le parlement allemand empêche la formation de toute majorité de gouvernement - tiens, tiens, comme chez nous aujourd’hui - tandis que Paul von Hindenburg, le président de la République, impose ses choix contre la volonté du peuple (pourtant manifestée à plusieurs reprises dans les urnes) non pas à coups de 49-3 mais de 48-2, un article de la constitution de Weimar tout aussi détourné de sa fonction initiale que le premier cité - tiens, tiens, comme chez nous encore.
Dans ce climat instable, s’ajoutent les intrigues du clan présidentiel à l’intérieur duquel des conseillers médiocres font la pluie et le beau temps - tiens, tiens, comme chez nous toujours...
Bien sûr, Emmanuel Macron n’est pas Paul von Hindenburg (ou Franz von Papen), Bruno Roger-Petit n’est pas Oskar von Hindenburg (le très influent et manipulable conseiller de son père), le RN n’est pas le NSDAP et LFI n’est pas le KPD.
Enfin, Vincent Bolloré n’est pas Alfred Hugenberg, le puissant magnat d’extrême-droite des médias allemands de l’époque sur lequel Johann Chapoutot écrit quelques pages particulièrement brillantes.
Mais il faut bien avouer que les similitudes sont nombreuses et troublantes !
L’auteur ne manque pas de le souligner avec force dans son important épilogue où, citant Pascal Ory, il écrit que « ce n’est pas parce que l’histoire ne se répète pas que les êtres qui la font - qui la sont - ne sont pas mus par des forces étonnamment semblables. Les triangles semblables ne se superposent pas mais leurs angles sont égaux et leurs côtés homologues, proportionnels. Il suffit que les hommes bougent devant le regard de l’homme pour se ressembler étrangement. » ajoutant que :
« Le matérialisme historique, en identifiant des acteurs sociaux, des dynamiques et des pratiques liées à des intérêts concrets (pouvoir et argent, pour aller vite), la défense obstinée de situations et de hiérarchies sociales par des politiques de classe, des luttes entre groupes sociaux, a légitimé l’analogie en histoire. »
Au final, défaite de 1918 et chômage de masse aidant, la mort de la république de Weimar était-elle inéluctable, comme on le présente souvent aujourd’hui de manière outrageusement simplificatrice dans les manuels d’histoire de nos élèves ?
Non, mille fois non, nous dit l’auteur qui, dans l’arrivée d’Hitler au pouvoir, pointe au contraire de manière très convaincante l’aveuglement et l’égoïsme des possédants, de cet "extrême-centre" qui, en brandissant l’épouvantail du KPD - comme certains aujourd’hui en France n’hésitent pas à brandir à tout bout de champ l’épouvantail LFI - n’a pas voulu voir d’où venait le danger véritable et qui, de complaisance en complaisance - mais par intérêt matériel bien compris - a fini par se jeter dans les bras "musclés" que les nazis leur tendaient.
Ces nazis, nous dit l’auteur, qui n’étaient certes pas encore en 1933 les « bourreaux de Treblinka » qu’ils deviendront par la suite, mais qui, de complicité avec les médias Hugenberg, s’étaient déjà assuré des succès faciles dans l’opinion en montant en épingle le wokisme de l’époque - encore une similitude ! - désigné alors sous le terme de "bolchevisme culturel", et qui apparaissaient pour nombre de gogos comme « l’extrême-droite la plus efficace et la plus populaire », seule à même de résoudre les problèmes du pays.
L’extrême-droite, la solution dont l’Allemagne avait besoin.
On connait la suite !
Un livre à méditer d’urgence.
Franck Schwab
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