Trump, disciple de Carl Schmitt ?

mercredi 5 février 2025
par  Franck SCHWAB
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Nous livrons à votre réflexion quelques pages troublantes de CATHERINE AUDARD ("Qu’est-ce que le libéralisme ? Ethique, politique, société", Folio, 2009, pages 116 à118) sur la condamnation du libéralisme politique par le constitutionnaliste allemand Carl Schmitt (1888-1985) dont les conceptions eurent un certain succès dans l’Allemagne des années Trente.
Sachant que les Etats-Unis sont une démocratie libérale dont les principes a priori intangibles reposent sur la déclaration d’indépendance de 1776 et la constitution de 1787, peut-on voir Donald Trump comme son disciple et ce qui se passe aujourd’hui aux États-Unis comme une révolution ?
La question est malheureusement sérieuse.

FS

La politique, pour Carl Schmitt et ses disciples [...] désigne les rapports de domination (Herrschaft) qui sont ignorés ou neutralisés par le libéralisme.

La violence est au coeur de toute vie sociale et du politique, c’est son moyen et c’est aussi sa finalité.

En effet, le groupement politique est avant tout un groupement de domination sur un territoire donné d’une population donnée, ce qui implique la séparation caractéristique entre extérieur et intérieur, entre ennemis et amis, et suppose l’usage de la force ou de la violence (police et armée) pour maintenir sa domination face aux ennemis intérieurs et extérieurs.

Au contraire, le libéralisme éliminerait la question de la domination, en particulier celle de l’Etat et de son monopole de violence légitime, puisqu’il pose la possibilité d’une communauté non politique unifiée par les besoins économiques, la société civile ou marchande [ce qu’est toujours aujourd’hui en grande partie l’Union Européenne, note du transcripteur].

La critique essentielle porte sur le fait que le libéralisme espère résoudre le problème de Hobbes [la guerre de tous contre tous, note du transcripteur] en éliminant un aspect crucial de son argument : la volonté de puissance (Macht) des individus et le désir insatiable de domination (Herrschaft) qui sont constitutifs du politique.

Comme le rappelle Hobbes dans le chapitre II du Léviathan : « L’inclination générale de toute l’humanité [est] un désir perpétuel et sans trêve d’acquérir pouvoir après pouvoir, désir qui ne cesse qu’à la mort. »

La politique, pour Carl Schmitt, "institue" le social par la violence qu’exercent sur le corps social le Tout supérieur et distinct de la somme de ses parties, l’Etat-nation moderne sur la base de la relation "ami-ennemi".

Tous les régimes politiques, bien sûr, ont eu recours à la rhétorique de la res publica, de la défense du bien commun pour réussir à obtenir le soutien des individus, éliminer leurs ennemis et légitimer leur pouvoir.

La naissance historique du "domaine public" est, on le sait, celle de l’Etat moderne par contraste avec la royauté médiévale et sa confusion entre domaine public et propriété privée du prince.

L’Etat moderne, comme communauté politique distincte de la communauté sociétale, nécessitant une bureaucratie et des pouvoirs nouveaux, s’exerçant sur tout le territoire national, pourvue d’une légitimité distincte, pour reprendre les caractéristiques énoncées par Max Weber, est donc consubstantiel à ce que les critiques du libéralisme entendent par le "politique".

Une telle entité ne peut naître pacifiquement pour Schmitt, elle est le résultat de la guerre.

Seul le danger face à « un ennemi qui est toujours un ennemi public, jamais un ennemi personnel », peut créer la sphère publique politique sur une base territoriale.

La violence légitime est l’essence du politique pour garantir les frontières, la domination du territoire, afin que les "ennemis" extérieurs soient réduits à l’impuissance et que les ennemis intérieurs s’inclinent.

Ni le commerce ni l’éthique ne sont capables de créer un tel sens d’unité, de donner vie à l’idée d’un "bien commun".

Seules la guerre et la violence peuvent créer la vraie res publica.

La communauté politique, dans ce cas, n’est pas une communauté éthique, c’est une communauté de fait, c’est par exemple, celle de la nation ethnique.

Il est assez clair que Schmitt, dont nous connaissons maintenant l’implication dans le nazisme, pensait avant tout à la "nation" comme communauté ethnique, comme "peuple" issu d’une culture, d’une langue, d’une histoire communes, certainement pas à une nation "civique", volontariste, comme celle issue de la Révolution française ou de la guerre d’Indépendance américaine.

Il n’en demeure pas moins que la critique est sérieuse.

La faute suprême du libéralisme consisterait à ne pas prendre en considération "le" politique, c’est-à-dire la violence des luttes de pouvoir et des conflits sociaux, ethniques ou religieux, le refus de la coopération, l’irrationnalité des masses et la nécessité du recours à la violence et à la domination par un Etat fort pour en venir à bout.


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