Conflans, petite commune rurale meurthe-et-mosellane de l’arrondissement de Briey située à quelques encablures de Metz et au carrefour d’importantes voies de communication, mérite-t-elle pour l’époque de la IIIème République l’histoire totale qu’ambitionne un ouvrage de 650 pages grand format, imprimé en tout petits caractères ?
Manifestement, oui.
D’abord parce que l’auteur démontre qu’à l’instar d’autres petites cités qui ne voulaient pas disparaître, elle est restée, tout au long de la période, un conservatoire de la France traditionnelle dans une région et un territoire qui changeaient profondément grâce au développement du chemin de fer et à l’exploitation des mines.
Conservatoire de la France traditionnelle, elle l’est alors par ses activités agricoles - en déclin mais toujours présentes - qui en font un siège de comices, comme par ses notables ruraux qui dominent continument la vie politique de la commune.
Elle l’est aussi par ses activités de services que lui donnent ses fonctions de chef-lieu de canton, la ville possédant une justice de paix, un centre des impôts, une poste, une brigade de gendarmerie et - jusqu’à la Première Guerre mondiale - des douanes, alors même que sa population ne fait que doubler entre 1870 et 1914 quand celle de sa voisine Jarny (dont elle n’est séparée que par un pont sur l’Orne) décuple.
En dépit d’une présence cheminote devenue importante, Conflans continue alors de représenter la France d’autrefois quand Jarny, ville ouvrière marquée par une forte immigration italienne, incarne avec une évidence incontestable la toute nouvelle modernité industrielle et minière du pays.
L’ouvrage raconte ainsi en creux l’histoire de la rivalité entre les deux villes jumelles qui porte, parmi beaucoup d’autres points, sur la question de la dénomination de la gare commune - Conflans-Jarny ou Jarny-Conflans ? - comme sur celles de l’implantation de la brigade de gendarmerie ou de la rationalisation des services de la poste.
Si on pense fréquemment à Clochemerle en lisant le récit de ces différents conflits, l’enjeu pour Conflans n’était cependant pas anodin car la ville se battait tout simplement pour sa survie en tant que cité, et le livre nous le fait comprendre parfaitement.
L’ambition d’histoire totale de l’ouvrage se justifie en outre par ce qu’il révèle du caractère patriotique des sentiments républicains de l’époque, ce patriotisme étant alors mâtiné pour les Conflanais de toutes tendances politiques d’un très fort anti-germanisme.
Le livre nous permet d’en comprendre aisément les raisons puisqu’il débute en nous rappelant que le canton de Conflans fut, en 1873, le dernier du pays à être libéré de l’occupation allemande.
Il se poursuit en montrant que la ville devint une sorte de vigie face à la Lorraine annexée et que, très vite occupée au début de la Première Guerre mondiale, elle acquit, grâce à son important réseau de voies ferrées, un rôle logistique clé pour la défense par les Allemands du saillant de Saint-Mihiel comme pour leur offensive sur Verdun.
Durant cette période, la population conflanaise ne fut guère ménagée. D’abord soumise à de nombreuses vexations et à un rationnement alimentaire strict, elle fut ensuite en grande partie déportée tandis que, pour les quelques enfants restés sur place, l’enseignement à l’école primaire ne se faisait plus qu’en langue allemande.
Détail significatif et particulièrement humiliant, on apprend même que la Kommandantur locale se faisait régler ses factures de blanchisserie par la municipalité.
Où l’on constate que, par bien des aspects, l’armée allemande de 1914 était déjà celle de 1940 !
L’auteur nous rappelle aussi - et on trouve l’épisode peu rapporté ailleurs - qu’après la victoire de 1918, la ville réclama, avec 90 autres communes de l’arrondissement de Briey, son rattachement à la Moselle libérée !
Mais les Nancéiens n’étaient pas d’accord, leur municipalité se fendant en janvier 1919 d’une Adresse au gouvernement où l’on peut lire avec un certain intérêt que « La libération des provinces annexées suscite les craintes de la ville de Nancy [concernant le maintien de ses différentes fonctions de commandement régional ] » et que celle-ci réagit comme « comme garante de ses intérêts économiques en tant que chef-lieu de département » précisant nommément que « cette dernière revendication fait écho au texte de la pétition par laquelle Briey demande son rattachement à la Moselle [...] ».
Le retour à la Moselle des origines en resta donc là et Conflans resta, bon gré mal gré, meurthe-et-mosellane ...
L’ambition d’histoire totale de l’ouvrage se justifie enfin par son étude minutieuse de la gestion municipale de la ville, les propos de Tocqueville mis en exergue affichant immédiatement la couleur : « C’est dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir. Sans institutions communales une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n’a pas l’esprit de la liberté. »
La IIIème République, une école de la liberté ?
Oui, bien sûr, mille fois ! Avec le maintien de quelques servitudes quand même, comme le montre en 1924 l’acceptation par le conseil municipal de la création d’une maison close - dénommée pudiquement "maison à caractère spécial" dans la presse locale - contre le versement d’une « redevance » servant à financer le bureau de bienfaisance de la commune, « redevance » par nature illégale que le sous-préfet demanda tout simplement de transformer en « subvention » dans les délibérations du conseil municipal, ce qui fut fait. Grâce à la magie des mots, la force en resta donc à la loi...
Marthe Richard, une autre histoire lorraine à écrire ou à réécrire ?
Le lecteur le comprend bien : tout, tout, tout, on apprend tout ici de l’histoire de Conflans sous la IIIème République, jusqu’aux listes exhaustives des artisans, des commerçants, des gendarmes ou des enseignants qui y vécurent.
Un travail magistral.
Franck Schwab
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