Contrairement aux idées toutes faites, la ruralité ne concerne pas que les terroirs, et les ruraux ne sont pas tous des paysans, particulièrement durant la période étudiée où le département de la Mayenne - quoi qu’en déclin démographique, comme tous les départements ruraux de l’époque - se caractérise par la vitalité économique et culturelle de ses bourgs.
L’étude de la sociabilité associative, sur quoi porte l’ouvrage, met en effet quasi exclusivement l’accent sur ceux-ci.
Et pour cause !
Qu’il s’agisse des cercles, des cures (version catholique des premiers) et des loges maçonniques - car il y en avait aussi dans les campagnes ! - au début de la période ; des corps de sapeurs-pompiers, des sociétés musicales et des sociétés conscriptives (de tir et de gymnastique) au mitan de la période ; des amicales d’anciens élèves, des sociétés sportives et des associations d’anciens combattants à la fin de celle-ci, tout ne se fait que dans le bourg, a fortiori sur un territoire d’habitat dispersé, comme l’est la Mayenne, où les habitants des hameaux se retrouvent forcément pénalisés par leur isolement.
Pas ou très peu de paysans donc dans toutes ces associations, sauf dans celles d’anciens combattants. Mais au départ, parmi leurs membres, et jusqu’à la fin dans leurs instances dirigeantes, des notables locaux appartenant d’’abord à la noblesse et à la bourgeoisie traditionnelles (tels que Balzac les a décrits dans ses romans pour le premier XIXème siècle), puis de plus en plus aux « couches nouvelles » du commerce, de l’artisanat et des professions libérales vantées par Gambetta.
Pas ou très peu de femmes non plus - sauf pour les amicales d’anciennes élèves - la vie publique étant alors quasi exclusivement réservée aux hommes en raison de son caractère patriarcal affirmé.
Si émancipation féminine il devait déjà y avoir à l’époque, c’est en ville que les femmes du peuple (et non les filles de propriétaires) l’ont conquise, essentiellement en y partant.
L’ouvrage s’attache d’abord à reconstituer minutieusement les vagues successives de créations d’associations en pointant au passage la dichotomie habituelle entre le sud du département qui subit le tropisme angevin et sa partie nord (l’ancien Bas-Maine) influencée au contraire par Le Mans.
Il s’interroge ensuite avec beaucoup de pertinence sur le sens de ces créations en y voyant d’abord une volonté de distinction des élites rurales, puis d’intégration de la nouvelle classe moyenne des artisans et des commerçants, avant que la recherche de l’individualisation ne commence à apparaître progressivement au sein de celle-ci.
Cette mise en perspective sociale conduit l’auteur à tempérer fortement l’image conservatrice d’un département où, certes, l’opposition entre associations laïques et associations catholiques a pu être féroce ; où certes, encore en 1936, tous ses députés ont été élus dans le camp de la droite classique ; mais où l’échelon municipal a également montré très tôt des choix politiques beaucoup plus nuancés.
Cette même mise en perspective le conduit enfin à remettre en cause la prétendue "arriération" des campagnes mayennaises - et plus largement de toutes celles du grand Ouest - en voyant, au terme du processus de créations d’associations qu’a connu le département, un phénomène de « mise en réseau » et de nationalisation de celles-ci.
Comme dans l’Angoumois des Illusions perdues, la modernité a aussi pénétré en Mayenne au XIXème siècle !
Un ouvrage tout à fait passionnant.
Franck Schwab
pour Historiens & Géographes
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