L’analyse de Rony Brauman
[...] L’extrême violence de l’attaque du 7 octobre, les atrocités commises, les enlèvements de civils, restent dans les mémoires comme un choc effroyable. Ces horreurs rejoindront d’autres horreurs commises au nom de la libération, dans d’autres luttes anticoloniales. Ce qui n’excuse rien, ces crimes restent des crimes, mais incite à rejeter le jugement métaphysique qu’ont porté certains, en premier lieu les autorités israéliennes, et derrière elles leurs divers soutiens : le Mal absolu renaît, l’existence des juifs est menacée, la lumière doit triompher des ténèbres.
Pourtant, comme l’a sobrement résumé Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères du Parlement français, « la violence du Hamas est sans excuse, mais pas sans cause ».
Remarque de bon sens, bien souvent ignorée, voire criminalisée en tant que justification du terrorisme.
Resituer ces événements épouvantables dans une histoire, évoquer les milliers de morts et de blessés de ces dernières années, considérer l’humiliation de vivre dans un camp sous blocus et la colère de se voir privé d’avenir, cela revient en effet, pour les soutiens d’Israël, à justifier a posteriori le nazisme par l’injustice du traité de Versailles.
Rien de nouveau, à vrai dire : Sharon comparait en son temps Arafat à Ben Laden, et Netanyahou affirmait que l’extermination des Juifs d’Europe était une idée soufflée à Hitler par le grand mufti de Jérusalem. « Expliquer, c’est déjà justifier », disait Manuel Valls au sujet des attentats en France. « Pire crime antisémite depuis la Shoah », déclarait comme en écho Emmanuel Macron au sujet du 7 octobre, apparemment oublieux du fait qu’aucun juif n’occupait l’Allemagne nazie, ni ne dépossédait ses habitants de leurs vies.
Ce n’est en rien nier l’atrocité de leur sort que d’affirmer que les victimes de l’attaque du Hamas ont été tuées ou enlevées en tant qu’Israéliens et non en tant que juifs. C’est au contraire se couper de la réalité de l’occupation que de se demander d’où vient la haine effrayante et mystérieuse qui s’est donnée libre cours ce jour-là.
Les pères fondateurs d’Israël, tout à leur tâche de chasser la population autochtone de Palestine, n’étaient cependant pas aveugles à la réalité qu’ils créaient.
Ecoutons Moshé Dayan, alors chef d’état-major de l’armée israélienne, s’exprimer lors des funérailles d’un jeune homme enlevé et torturé par des Palestiniens dans un kibboutz proche de Gaza, l’un de ceux qui furent attaqués le 7 octobre : « N’accusons pas aujourd’hui les tueurs. Pourquoi devrions-nous nous plaindre de leur haine brûlante envers nous ? Voici huit ans [nous sommes en 1956] que depuis le camp de réfugiés de Gaza ils nous voient construire notre patrie sur la terre et les villages où ils vivaient, où leurs pères et leurs ancêtres vivaient. »
Paroles restées d’actualité, soixante-dix ans plus tard, et pourtant inaudibles de nos jours, tant règne la rhétorique d’intimidation par assignation à l’antisémitisme. Dayan serait-il un antisémite qui s’ignore, un juif en proie à la haine de lui-même, un partisan de la "culture de l’excuse", un "idiot utile" des islamistes ?
La réalité historique de la formation de ce pays , crûment énoncée par l’un de ses fondateurs et dûment documentée par les historiens, passe aujourd’hui en effet pour un déni de légitimité synonyme de haine des juifs.
Que des propos obscènes, des mots d’ordre haineux visant les juifs, aient été proférés à de trop nombreuses occasions de solidarité avec Gaza est incontestable.
Ces outrages minoritaires sont exhibés, par les mêmes « amis d’Israël », comme autant de preuves du caractère fondamentalement antisémite de toute critique de la politique de colonisation israélienne. Rappeler l’évidence, à savoir que les attaques et les crimes du 7 octobre ont un rapport étroit avec l’occupation israélienne, est qualifié d’obscénité, de soutien au Hamas. Leur monde est simple, binaire comme il se doit : il y a les démocraties, dont Israël est un phare, et il y a la barbarie islamiste, dont le Hamas est le visage hideux. [...]
Aucune population n’a subi de bombardements d’une telle intensité, aucune guerre récente n’a tué autant d’enfants, aucun massacre de cette envergure n’a reçu un tel soutien de la part de pays démocratiques, professant à tout propos leur attachement au droit international et aux droits humains. [...]
Dans son homélie prononcée à l’occasion de Noël 2023, le révérend Munther Isaac, pasteur de l’église luthérienne de Bethléem, énonçait une vérité crue : « Cette guerre nous a confirmé que le monde ne nous considère pas comme égaux. Peut-être est-ce en raison de la couleur de notre peau. Peut-être est-ce parce que nous sommes du mauvais côté de l’équation politique. Même notre filiation dans le Christ ne nous a pas protégés. Ils ont donc dit : s’il faut tuer cent Palestiniens pour venir à bout d’un seul "militant du Hamas", ainsi soit-il. »
Les mois écoulés depuis cette triste célébration ont confirmé au-delà de toute interrogation la justesse de ces propos. Les Palestiniens sont livrés à la rage vengeresse des Israéliens dont nul, au moment où ces lignes sont écrites [le 1er juillet 2024, note du transcripteur], n’est en mesure de concevoir la limite, si ce n’est à l’écoute du Premier ministre annonçant qu’ « il faut réduire la population de Gaza à son strict minimum . »
Netanyahou se vantait d’avoir réussi à effacer la Palestine de l’agenda international. On trouvera dans ce Livre noir de quoi comprendre que ce n’est pas de l’agenda diplomatique, mais de la surface de la Terre, qu’il entend la faire disparaître.
Gageons que s’il y parvient, ce sera au prix d’un suicide collectif.
La société israélienne est divisée sur le sort des otages, mais unie derrière son armée, du moins à ce jour. Un moment viendra où les opposants à cette folie suicidaire seront entendus, où le doute reprendra ses droits, du moins est-ce ce que l’on souhaite.
Nul n’est cependant en mesure d’esquisser ne seraient-ce que les grandes lignes de l’ « après », même après un cessez-le-feu. Que va devenir la population de Gaza enfermée dans un champ de ruines, et celle de Cisjordanie qu’asphyxient l’emprise et les raids continuels de colons ? Que faire avec cette haine qui s’étend ?
Une guerre sans fin s’annonce, que seule une réaction internationale déterminée pourra enrayer.
Le communiqué de l’UNICEF
Après les attaques du 7 octobre en Israël, l’escalade des hostilités qui durent dans la bande de Gaza est la plus meurtrière depuis 2006. Au 5 avril, le bilan en Israël faisait état d’au moins 1 200 morts dont 37 enfants et plus de 7 500 blessés. 138 personnes seraient encore retenues en otage dont deux enfants.
« L’Unicef n’a eu de cesse de demander la libération sans délai des deux enfants israéliens pris en otage le 7 octobre 2023. Nous continuerons de nous préoccuper de leur sort, tant qu’ils ne seront pas sains et saufs », déclare Adeline Hazan, présidente de l’Unicef France.
Dans la bande de Gaza, 33 091 personnes [42 603 aujourd’hui, 20 octobre 2024, d’après le ministère de la santé de la bande de Gaza] dont 13 800 enfants et au moins 3 250 femmes seraient décédées. Près de 75 750 personnes auraient été blessées [99 975 aujourd’hui] dont 12 300 enfants. Plus de 17 000 enfants sont séparés de leurs parents. Des dizaines de milliers d’autres sont portés disparus. Les femmes et les enfants représentent 70% des victimes. Le bilan s’alourdit chaque jour de façon stupéfiante.
La bande de Gaza est aujourd’hui l’endroit le plus dangereux au monde pour un enfant. [...]
Les images et les récits sont sans équivoque. Les enfants sont les premières victimes de ce conflit. Et pour les survivants, une vie bouleversée à jamais.
Depuis six mois, ils sont confrontés à la violence la plus extrême, à des scènes d’horreur, à la perte de leurs proches. Des états de traumatisme profond qui affectent leur développement et leur avenir.
« La santé mentale des enfants est gravement affectée. Ils présentent des niveaux d’anxiété extrêmement élevés, de l’insomnie et une perte d’appétit. Ils subissent des crises émotionnelles et des crises de panique dès qu’ils entendent le bruit des bombardements », a déclaré Jonathan Crickx, responsable de la communication du bureau Unicef Palestine.
D’ailleurs avant même cette escalade, 540 000 enfants de Gaza, soit la moitié de la population infantile, avaient été identifiés comme ayant besoin d’un soutien psychosocial et en santé mentale. [...]
Chaque enfant, de quelque côté qu’il soit des lignes de front, doit être protégé. Tous les enfants de la région vivent dans une insécurité permanente, vivent des traumatismes liés à la violence qu’ils ont subie ou dont ils ont été témoins, aux privations, aux déplacements, à la perte ou à la disparition de leurs proches.
Seule une paix durable pourra les aider à se reconstruire.
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