Un dieu de miséricorde

vendredi 7 avril 2023
par  Franck SCHWAB
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Recension de l’ouvrage d’Eric Branca " Le roman des damnés. Ces nazis au service des vainqueurs après 1945", Perrin, 2021, 423 pages, 24 euros.

Au jour du jugement dernier qu’annonça le débarquement de Normandie, beaucoup de dignitaires nazis qui se voyaient irrémédiablement destinés à expier leurs crimes aux Enfers furent sauvés in extremis de la damnation par le dieu américain.

Dans sa grande clémence, celui-ci décida en effet de passer discrètement l’éponge sur leurs agissements pour leur permettre de se racheter en entamant une nouvelle vie à son service et à celle de son Eglise.

Il faut dire que la guerre froide, qui n’était pas encore nommée ainsi, était déjà une réalité. Et le dieu américain devait bien reconnaître que les nazis disposaient d’une sacrée "expertise" sur une Union Soviétique qu’ils avaient su combattre avec détermination même si, portés par un enthousiasme bien compréhensible, ils y étaient certes allés parfois un peu fort...

L’ouvrage, qui n’est pas un "roman" - puisque tout y est vrai - nous raconte le parcours de douze "damnés" - qui ne l’ont pas été - au plus grand désespoir de leurs victimes, juives et autres.

C’est le cas du chancelier Kiesinger, ancien numéro deux de la propagande nazie à destination de l’étranger, qui reste dans nos mémoires pour avoir été dénoncé par Beate Klarsfeld à travers une gifle donnée publiquement.

C’est le cas d’Ernst Achenbach, ancien numéro deux de l’ambassade d’Allemagne à Paris, et à ce titre inspirateur majeur de la politique anti-juive en France, qui devint président de la commission des affaires étrangères du Bundestag avant d’être désigné par son gouvernement au poste de commissaire européen.

C’est le cas du général Heusinger qui devint le numéro deux de l’OTAN et à l’enterrement duquel un public choisi chanta avec émotion "Ich hatt’einen kameraden" alors qu’il avait été le planificateur de la guerre d’extermination conduite à l’Est et que les Soviétiques réclamaient son extradition depuis 37 ans...

C’est le cas de Reinhard Gehlen, l’ancien chef du renseignement militaire pour le front de l’Est, qui fonda les services secrets ouest-allemands où il employa des "spécialistes" de la lutte anti-communiste aussi remarquables que Klaus Barbie - qu’il est inutile de présenter - et Wilhelm Höttl, responsable de la déportation de 44 000 juifs hongrois vers Auschwitz.

Autre nazi racheté par le dieu américain : l’ancien chef des Kommandos SS Otto Skorzeny, pourtant accusé d’avoir fait des essais de balles empoisonnées sur les détenus du camp de concentration de Sachenhausen-Orianenburg - une peccadille pour laquelle il ne fut jamais jugé ! - qui devint dans l’après-guerre un très actif agent de la CIA sur le continent. " En France, nous dit l’auteur, il met en place des centres d’entrainement secrets destinés aux membres français du Stay behind [un réseau anti-communiste dormant]. Non sans organiser à leur demande [celle des autorités françaises de l’époque] de discrètes opérations d’élimination d’agents communistes en Afrique comme en Indochine française."

Le célèbre Werner von Braun, qui se rendit avec tout son staff aux Américains en 1945 et qui joua le rôle que l’on sait dans la conquête spatiale, ne manque pas non plus à l’appel. L’auteur souligne qu’à l’instar de Speer - le repenti "modèle" qui se voulait "responsable mais pas coupable" - il n’a jamais été inquiété pour les responsabilités qui avaient été les siennes dans la mise au travail forcé et l’extermination des déportés - en grande partie français - du camp de Buchenwald-Dora où ses V2 étaient fabriqués pendant la guerre. "Braun arrivait [au camp]le matin accompagné d’une femme non identifiée, il devait enjamber les corps des prisonniers morts et passer sous d’autres corps suspendus à une grue..." nous dit pourtant un témoignage postérieur à son décès.

Mais tous ces "repentis" du nazisme ont été tellement utiles à l’Amérique et au "monde libre" !

On comprend dès lors mieux le relatif silence sur la Shoah qui a marqué les années cinquante et soixante, cette explication étant bien plus importante que celle du prétendu "mythe résistancialiste" dont les historiens français ont fait une antienne.

On comprend mieux aussi l’amertume de la plupart des résistants ainsi que des victimes juives et non-juives de la déportation.

Il apparait enfin tout à fait paradoxal que le pays qui a protégé le plus de criminels nazis au lendemain de la guerre a aussi été celui qui a le plus insisté, à partir des années 1970, sur la mémoire du génocide.

Un effet tardif de la mauvaise conscience sans doute.

Mais le dieu de la raison d’Etat a-t-il une conscience ?

Franck Schwab


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