Mathématiques souterraines

Recension de l’ouvrage de Jean-Pierre Harbulot "Résistance et déportation. Une famille meusienne dans la tourmente", Dossiers documentaires meusiens, 2021, 190 pages.
lundi 6 juin 2022
par  Franck SCHWAB
popularité : 9%

Editeur : Dossiers Documentaires Meusiens (chez M. André Trouslard, 3 route de la Vallée, 55 110 Regnéville-sur-Meuse).

Site internet des DDM : http://www.histoire-meuse-ddm.fr

Correspondance électronique pour obtenir l’ouvrage : andre.trouslard@free.fr

Ils ont été trois à avoir été déportés pour faits de résistance : le père, Auguste Thirion ; la mère, Madeleine ; et le fils Charles.

Les chances de survie dans les camps de concentration devenaient très réduites quand on était corpulent - ce qui était le cas des trois personnes concernées - et quand on était déjà un peu âgé - ce qui était le cas du père qui mourut d’épuisement à Buchenwald et de la mère qui mourut gazée à Ravensbrück.

Ils ont aussi été trois à porter la mémoire vive de cette tragédie familiale dans l’après-guerre : Charles, rentré vivant de Buchenwald mais qui mourut précocement des conséquences de sa déportation dix ans après son retour ; Fernand, son frère aîné, et Anna, sa soeur cadette, qui n’avaient pas été impliqués dans l’action résistante du frère et des parents mais qui en vécurent directement les conséquences.

Ils ont encore été trois à hériter de cette mémoire familiale : la femme et les enfants de Fernand qui forment une sorte de "Un" collectif ; le fils de Charles qui avait huit ans au moment de la mort de son père et qui se lança, en autodidacte, dès les années 1970 dans un travail d’enquête pour comprendre ce qui s’était passé, rassemblant au fil du temps une documentation très importante ; l’historien, auteur de ce livre enfin, qui a repris toute cette documentation pour l’éclairer et l’exploiter en prenant appui sur les dernières avancées de la recherche.

Et puis, comme dans toute équation qui comprend une inconnue, il y aussi un nombre x qui correspond aux adversaires cachés de cette famille et de sa mémoire.

Car le drame a pour cadre la campagne meusienne où, à l’instar de toute campagne, il y a des rivalités, des jalousies, une hostilité plus ou moins franche entre individus qui préexistaient à la guerre et qui étaient bien plus puissantes que tous les événements passés et à venir puisqu’elles s’expriment encore de manière presque "chimiquement pure" 80 ans après la fin du conflit !

L’addition "mathématique" de tous ces éléments et l’équation dont ils demandent la résolution structurent un ouvrage original et très richement illustré qui se présente d’abord comme la relation rigoureuse d’une résistance et d’une déportation.

On y croise d’anonymes et authentiques héros, membres d’un réseau gaulliste - le B.O.A. (Bureau des Opérations Aériennes) - qui organisa en août et décembre 1943 deux gros parachutages dans la région de Verdun avant d’être démantelé par la Gestapo.

On y suit, via la prison de Nancy, les membres de la famille Thirion sur le chemin de leur déportation ; jusqu’à Ravensbrück pour la maman où sa foi chrétienne l’aida à tenir plusieurs mois ; jusqu’à Auschwitz, puis Buchenwald, pour le père et le fils qui firent partie du fameux "convoi des tatoués" où se trouvait Marcel Paul.

On y rencontre ainsi, à plusieurs reprises, la belle figure de ce dernier, futur ministre communiste de la Libération et fondateur du Patriote Résistant qui partagea le même wagon que Charles pendant le transport, qui le prit sous son aile à Buchenwald et qui joua encore un rôle très positif d’entraide pour lui et les siens dans l’après-guerre.

Car Charles avait désormais une santé déficiente et, outre ses parents, ii avait aussi perdu son travail et son domicile en rentrant de déportation.

Cela faisait beaucoup pour un homme qui venait à peine d’entrer dans la vie et qui sortait à l’âge de 21 ans de la pire expérience qu’un individu pouvait connaître !

On le comprend donc, le livre ne s’arrête pas à la fin de la guerre, ni même à la mort de Charles, car il se veut aussi l’histoire d’une famille et de sa mémoire, la déportation et la mort des parents, puis celle de Charles, ayant eu des conséquences très importantes pour son son devenir dans un environnement social et géographique particulier, celui du département de la Meuse qui forme l’arrière-plan de ce drame.

La prise en compte de toutes ces données a permis à l’auteur d’écrire une "autre" histoire de la Résistance et de la Déportation ; une histoire qui reste toujours aussi héroïque car les héros ont bel et bien existé, comme Louis Piquet, boucher et maire de Dugny, qui prépara et réceptionna les parachutages et qui fut fusillé en mars 1944 près de Bar-le-Duc ; ou Laure Blondiaux, verdunoise morte en déportation qui s’engagea consciemment avec ses enfants jusqu’au sacrifice.

Mais cette histoire héroïque est mieux située dans son contexte local et ses suites que la plupart de celles qui l’ont précédée. Et si elle n’est pas plus "vraie" que ces dernières, elle est plus "juste", plus douloureuse aussi ...

Un très beau livre qui sort des ouvrages habituels sur le sujet et qui annonce peut-être une nouvelle ère dans l’approche d’un "fait résistant" qui est, et qui reste, essentiellement un phénomène local.

FRANCK SCHWAB


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