Unir toutes les droites

jeudi 3 février 2022
par  Franck SCHWAB
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Recension de l’ouvrage de Gérard Bonet, "L’agence Inter-France de Pétain à Hitler. Une entreprise de manipulation de la presse de province (1936-1950)". Editions du Félin, 2021, 901 pages, 35 euros.

Unir toutes les droites, ce rêve, qui est aujourd’hui celui d’un candidat à l’élection présidentielle, fut une réalité entre 1936 et 1944.

Il prit la forme d’une agence de presse, Inter-France, dont un gros livre nous raconte l’histoire restée étonnamment méconnue jusqu’à aujourd’hui malgré l’importance de l’entreprise d’intoxication à laquelle elle s’est livrée et le très grand nombre de journaux qui y ont trempé.

Le quart de la presse régionale - toutes publications confondues - et surtout la moitié de sa presse quotidienne en ont, en effet, reçu les dépêches, les bulletins d’information et les éditoriaux très orientés qui étaient ensuite souvent resservis in extenso à des lecteurs de sensibilité droitière modérée qu’Inter-France cherchait à radicaliser.

Le point de départ et le ciment véritable de cette formidable opération "d’union de toutes les droites" au profit de sa frange la plus extrémiste fut non pas, comme aujourd’hui, la peur de tout ce qui se rapporte à l’islam et aux musulmans, mais la peur de tout ce qui se rapportait alors au communisme et aux communistes, forcément dénoncés comme juifs - pour la plupart - et "agents de l’étranger" pour tous.

Si Inter-France est officiellement fondée en 1938, c’est le traumatisme causé, deux ans plus tôt, par la victoire du Front Populaire 1 qui pousse un obscur critique musical de l’Action Française du nom de Dominique Sordet - obscur, mais doué du génie de l’organisation et "bien-né" puisque issu d’un général et de l’héritière d’une grande famille d’armateurs marseillais - à fonder, avec l’appui du patronat de province, une officine spécialisée dans les questions de presse et de communication dont proviendra ensuite l’agence elle-même.

L’auteur n’a malheureusement pas pu retrouver les bulletins d’Inter-France de cette première époque, mais on sait, à partir d’autres documents, que l’agence défendait alors des positions très "munichoises" et pacifistes.

C’est cependant la défaite de 1940 qui marque le début de sa véritable ascension. Par anticommunisme - la ligne de force de toute cette histoire - mais aussi par antisémitisme et par anglophobie, Dominique Sordet se jette alors - si ce n’avait pas déjà était fait bien avant - dans les bras des nazis, Inter-France obtenant dès l’été 1940 le privilège exceptionnel de pouvoir diffuser ses informations sur les deux zones, occupée comme libre, l’agence officielle de Vichy - l’OFI - n’y ayant elle-même pas droit !

Inter-France prône tout de suite le "renversement des alliances" mais, à la différence des ultras de la collaboration parisienne et afin de mieux toucher le lecteur de droite "ordinaire", elle le fait d’abord de manière "modérée" et insidieuse au nom de la "raison" et du "patriotisme".

Ce n’est que progressivement que le discours se durcira, en lien avec l’évolution de plus en plus désastreuse des combats pour l’Allemagne ; en lien aussi avec l’évolution personnelle de Sordet : longtemps proche de Pierre Laval qui "arrose" généreusement Inter-France de subsides gouvernementaux, il rejoint Marcel Déat fin 1943, adhère aux "Amis de la Waffen SS" et soutient l’Etat milicien qui se constitue alors, justifiant dans un langage toujours très choisi, typique du fascisme "en gants blancs" qui est le sien, les pires mesures prises contre la Résistance.

Ainsi, dans le bulletin Inter-France daté du 13 juin 1944 : « On n’a jamais tenu les maquisards et autres dissidents pour bien intelligents : mais on n’aurait jamais cru qu’ils pussent ajouter foi [admirons l’imparfait du subjonctif !] à ce que leur racontaient les porte-paroles du fameux "Comité de libération" touchant au prétendu statut des "unités de résistance". Comment imaginer que non seulement les Allemands, mais n’importe quel homme de bon sens pourrait consentir à considérer comme assimilables à des soldats réguliers ces gens qui, se formant en bandes à leur gré, se donnent pour tâche de prêter main-forte à l’envahisseur en tirant dans le dos de l’occupant ? Et pourtant cette fable a reçu créance ! [...]. [...] à l’heure où l’armée anglo-américaine a pris pied sur notre sol, la Wehrmacht, qui le défend, ne peut permettre que la paralysent ou l’assaillent ceux-là mêmes dont elle protège le territoire ; et qu’il est juste, équitable, normal, de traiter en franc-tireur - c’est-à-dire de fusiller - tout individu qui porte les armes contre l’occupant et tous ceux qui l’aident à accomplir sa besogne traitresse. Ce qui vise bien entendu le maquis, comme les dissidents qui obéissent aux ordres d’un gouvernement illégal, usurpateur de droits qui appartiennent au seul Chef de l’Etat français. »

Le sort d’Inter-France et de la collaboration étant déjà scellés, on se doute que la presse de province était moins tentée de relayer ce genre de prose qu’elle ne l’aurait fait quelques années plus tôt. Mais le mal était fait. Pendant près de huit ans, une grande partie d’entre elle s’était laissé embarquée, bon gré mal gré, plus ou moins consciemment, plus ou moins volontairement, dans une entreprise de désinformation à très grande échelle.

Le lecteur pensera-t-il que justice fut faite après-guerre ? Que nenni ! Malgré les demandes pressantes des résistants et après quatre interminables années d’instruction, le procès d’Inter-France n’arriva devant les tribunaux qu’en 1949 où la montagne accoucha d’une souris. « Lorsque tout le monde a trempé dans une conjuration, on l’étouffe plus facilement en feignant de l’ignorer qu’en cherchant tous les complices » peut-on lire dans une lettre de protestation, citant Machiavel, adressée en 1950 au garde des Sceaux par le Comité d’Action de la Résistance....

Un livre magistral et très riche d’enseignements, pour nous aujourd’hui, quand un certains nombre de médias cherchent à favoriser la naissance d’une nouvelle "union des droites" sur des fondements tout aussi troubles qu’en 1936.

1 On pense ici au beau film de Marcel Bluwal, A droite toute, FIPA d’argent 2008 de la meilleure série.


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