Mai 1981

... et ses désillusions
lundi 17 mai 2021
par  Franck SCHWAB
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Le cas de la Lorraine sidérurgique

vu à travers l’ouvrage de Pascal Raggi, La désindustrialisation de la Lorraine du fer, préface de Philippe Mioche, 506 pages, Classiques Garnier, 2019.

Si l’exploitation des mines de fer, dans notre région, entre en difficulté dès le début des années 1960, la crise de la sidérurgie ne commence que dix plus tard. Mais le choc qui se produit alors est d’une très grande brutalité.

L’auteur nous rappelle ainsi que la sidérurgie française a perdu plus du quart de ses effectifs entre 1974 et 1979, la situation étant tout de suite dramatique pour la Lorraine :
"alors que la région produisait entre 50% et 60% de l’acier français de 1969 à 1974, de 1975 à 1978, elle en produit moins de la moitié. De 1974 à 1976, le nombre de hauts-fourneaux lorrains en activité passe de 47 à 28 et les effectifs des ouvriers sidérurgistes régionaux baissent de près de 4 400 personnes entre ces deux mêmes années, passant de 56 420 à 52 032 !"

Pour sauver la sidérurgie française, le plan Barre, mis en oeuvre à partir de décembre 1978, décide de lui administrer une purge de cheval :
"Les sites lorrains d’USINOR, nous dit encore l’auteur, sont particulièrement ciblés : sur les 12 000 suppressions d’emplois prévues dans le groupe au niveau national, 5 450 doivent être réalisées en Lorraine. La région de Longwy est cruellement touchée. Les événements insurrectionnels de Longwy en 1978 et 1979 : les manifestations de décembre 1978, l’attaque du commissariat de janvier 1979, l’occupation des “grands bureaux” sidérurgiques de Mont-Saint-Martin en avril 1979, sont alors autant de réactions de désespoir des populations ouvrières face à la fin du monde de l’homme du fer, Pascal Raggi ajoutant un peu plus loin : "Du 1er mai 1979 au 1er janvier 1980, le plan Barre a entraîné le départ de la sidérurgie d’environ 10 300 personnes au niveau national : 4 880 chez Sacilor-Sollac et 5 410 chez Usinor. Parmi ces effectifs, 6 450 sidérurgistes quittent leur emploi en Lorraine. [...]. Cette forte déflation des effectifs sidérurgiques s’accompagne de la diminution du nombre de mineurs de fer en activité dans la région : entre novembre 1962 et juillet 1979, 22 mines ont été fermées et, au début de 1981, il n’en reste plus que 22 en activité dont 10 dans le bassin de Briey. A cette date, alors que moins de 5 000 “gueules jaunes” travaillent encore, il est prévu de supprimer entre 500 à 900 postes dans le courant de l’année."

C’est dans ce contexte dramatique que se déroule la campagne présidentielle de 1981. Que nous en dit l’auteur ?

"Pendant la campagne présidentielle de 1980-1981, et même après la victoire de la Gauche, les socialistes et les communistes, désormais au pouvoir, sont convaincus qu’une autre politique est possible pour l’industrie minière et sidérurgique du pays. En 1981, Laurent Fabius, alors ministre du budget dans le gouvernement de Pierre Mauroy estime même que “le plan Barre est le plus grand scandale financier depuis l’affaire de Panama”. Les dirigeants, les militants et les technocrates de Gauche reprochent au plan Barre de banaliser les problèmes de la sidérurgie et donc de sous-estimer son rôle structurant pour le territoire français au profit d’une vision économique libérale à trop court terme [...]. La Gauche veut donc sauver la sidérurgie en la nationalisant conformément au programme commun signé le 27 juin 1972".

Cette intention devient effective le 9 octobre 1981. Quatre jours plus tard, l’encore nouveau président de la République vient rencontrer les Lorrains à Metz où, à propos des mines de fer, écrit Pascal Raggi, il s’adresse à la foule venue l’entendre en disant : "Notre approvisionnement national en fer sera consolidé, des crédits supplémentaires pour la recherche seront adoptés et distribués... Nous veillerons à ce que cet intervalle nécessaire 1, 2, 3, 4 ans (entre la recherche et l’application) soit assuré par des aides afin que l’on ne continue pas à fermer des mines qui assurer à la Lorraine la renaissance de son minerai".

La suite de son propos est tout autant porteuse d’espoir :
" Pour l’activité sidérurgique, et dans le cadre du même discours, nous dit l’auteur, François Mitterrand s’est aussi exprimé : “La sidérurgie sera modernisée, relancée, étendue pour qu’elle soit capable d’affronter la concurrence." Sans doute grisé par les foules ouvrières lorraines qui l’accueillent lors de son périple lorrain de cette journée d’octobre, le Président de la République avait déjà déclaré : " Il n’y aura pas de secteurs condamnés, qu’il s’agisse dans votre région, de la sidérurgie qu’il nous faut sauvegarder, développer, des mines de fer dont l’exploitation doit être poursuivie au prix d’un grand effort que supportera notamment la collectivité nationale, car il faut développer les technologies qui, en l’espace de trois à quatre ou cinq ans, nous permettront d’améliorer la teneur du minerai afin que vous soyiez en mesure d’affronter victorieusement la compétition internationale ; nous assurerons la transition."

Mais les difficultés sont plus importantes que prévues et après trois années de tergiversations ("L’ambiance est à l’attente inquiète. Médiatiquement, les journaux régionaux diffusent des rumeurs d’importantes suppressions d’emplois à venir. Politiquement, la visite du 16 mars [1984] à Longwy d’Henri Krasucki, le leader de la CGT, n’apporte aucune bonne nouvelle. Alors que l’on attend une décision sur l’avenir de la sidérurgie pour le 21 mars, le gouvernement repousse la date d’une semaine."), le gouvernement Fabius annonce le 29 mars l984 le lancement d’un "plan acier" qui reprend grosso modo les mêmes dispositions que le plan Barre de 1978 : pour survivre, la sidérurgie doit redevenir compétitive en se restructurant et en faisant de nouveaux gains de productivité, forcément synonymes de nouvelles suppression d’emplois.

Laissons l’auteur raconter comment s’achève cette histoire qui n’a hélas connu aucun happy end :
" En tout, le nouveau plan prévoit la suppression de 20 000 à 25 000 emplois dont 8 500 dans la sidérurgie lorraine. Pour la “Lorraine trahie”, c’est la stupeur. En réaction, des manifestations et des sabotages sont organisés dans toute la région : blocage d’un train à Neuves-Maisons, découpage au chalumeau de voies ferrées à Hagondange et du monument du fer à Thionville, saccage du centre des impôts à Longwy. Début avril, d’autres protestations symboliques orchestrées par des syndicalistes CGT et CFDT ont lieu en Lorraine du fer : simulation de l’incendie de la demeure jovicienne des De Wendel et démontage de la stèle de François De Wendel située au centre de Joeuf. La colère des ouvriers sidérurgistes s’exprime donc sur des monuments relatifs aux maîtres de forges qui ne sont plus aux commandes de la sidérurgie régionale. Il est sans doute plus facile de s’en prendre à ces traces historiques récentes qu’aux hommes politiques de Gauche, eux-mêmes souvent en porte-à-faux par rapport à la politique menée à Paris. Et si Colette Goeuriot, la député-maire PCF de Joeuf critique ouvertement les mesures prises par le gouvernement dans lequel quatre ministres communistes oeuvrent encore [jusqu’en juillet], globalement les élus de Gauche régionaux “mangent leurs chapeaux”. Néanmoins, trois députés et un sénateur socialistes de Moselle démissionnent de leur groupe parlementaire. Lors de la manifestation syndicale unitaire organisée à Metz le 28 mars, les élus communistes et socialistes défilent aussi, mais à part du cortège comme pour se protéger [...] La Droite constate qu’en matière de politique de sauvetage industriel, la Gauche subit, en ce printemps 1984, les mêmes difficultés qu’elle en 1978-1979. Surtout, les populations ouvrières de Lorraine et même les Lorrains dans leur ensemble, s’estiment floués."

Pour les mineurs de fer et les sidérurgistes lorrains, c’était la fin d’un rêve de survie qui s’était formé trois ans plus tôt avec l’accession de François Mitterrand à la présidence de la République et qui s’était renforcé avec le discours de Metz.

C’était aussi le début d’une profonde désillusion à l’égard de la Gauche dont Florange sera, bien plus tard, le dernier avatar.

Mais les vainqueurs de 1981 avaient-ils les moyens d’agir autrement ?

Franck Schwab
Président de la Régionale de Lorraine de l’APHG
Membre du Conseil de Gestion de l’APHG


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