4 heures chrono

La mise en oeuvre du nouveau programme d’histoire en classe de Terminale
mercredi 24 juin 2020
par  Franck SCHWAB
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Le nouveau programme d’histoire pour la classe de Terminale générale entrera en vigueur à la prochaine rentrée de septembre.

Il porte sur "Les relations entre les puissances et l’opposition des modèles politiques, des année 1930 à nos jours".

Quatre thèmes le constituent dont les deux premiers doivent être traités chacun en 13 à 15 h ("Fragilités des démocraties, totalitarismes et Seconde Guerre mondiale", puis "La multiplication des acteurs internationaux dans un monde bipolaire de 1945 au début des années 1970") ; les deux derniers en 10 à 12h pour l’un, en 8 à 10h, pour l’autre ("Les remises en cause économiques, politiques et sociales des années 1970 à 1991", puis "Le monde, l’Europe et la France depuis les années 1990").

Chacun des quatre thèmes du programme se décompose en trois chapitres (sauf le thème 3 qui n’en a que deux) où sont indiqués les grands axes à aborder et où sont nommés deux à cinq Points de Passage et d’Ouverture à traiter obligatoirement, le programme précisant que chacun de ces PPO "ouvre un moment privilégié de mise en oeuvre de la démarche historique et d’étude critique des documents".

Concrètement, le 3ème chapitre du thème 1 qui porte sur la Seconde Guerre mondiale doit donc être traité en 4 à 5h, évaluation comprise.

Cela signifie que l’enseignant n’aura au maximum que quatre heures pour étudier avec ses élèves les grandes phases de la guerre, le génocide des Juifs et des Tsiganes, et la France dans le conflit ("occupation, collaboration, régime de Vichy, Résistance").

Parallèlement, il devra aborder sous forme d’études documentaires, les PPO suivants : Juin 1940 en France, De Gaulle et la France libre, le front de l’est et la guerre d’anéantissement, Juin 1944 (débarquement de Normandie et opération Bagration), Hiroshima et Nagasaki.

Tout cela prévu en quatre heures, donc.

Or, n’importe quel enseignant sait que la moindre étude formative d’un texte ou d’une carte prend tout de suite une vingtaine de minutes.

Si on veut d’autre part aborder sérieusement, l’étude d’un phénomène aussi tragique et aussi complexe dans ses modalités que la Shoah, on ne peut pas prendre moins de deux heures.

Etudier la rafle du Vel’ d’Hiv’ - qui n’apparait pas dans les PPO mais qui est essentielle pour comprendre la collaboration en France - ne peut pas prendre moins d’une demi-heure.

Si le professeur fait ces deux choix au nom de sa "liberté pédagogique", il ne lui restera plus qu’une heure trente pour traiter tout le reste du chapitre sur la Seconde Guerre mondiale !

Ce sera "mission impossible". Il se retrouvera "en faute" par rapport à la "feuille de route" qui lui a été donnée et il pourra théoriquement être blâmé par son inspecteur.

On se heurte à la même aporie dans le chapitre 3 du thème 2 "La France, une nouvelle place dans le monde" (entre 1945 et le début des années 1970) que l’enseignant doit également étudier en quatre heures.

Ce chapitre passe en revue la IVème République ("entre décolonisation, guerre froide et construction européenne"), "la crise algérienne et la naissance d’un nouveau régime", "les débuts de la Vème République".

Il est accompagné de trois PPO portant sur "la constitution de 1958", "Charles de Gaulle et Pierre Mendès-France, deux conceptions de la République", "La guerre d’Algérie et ses mémoires".

Impossible là encore de passer moins de deux heures sur un événement aussi douloureux, aussi complexe et aussi sensible dans l’histoire de France du XXème siècle que la guerre d’Algérie.

Et faire étudier ensuite aux élèves les mémoires de la guerre d’Algérie à travers des documents ne peut pas prendre moins d’une heure.

Mais dans ce cas, il ne restera plus qu’une seule heure pour voir tout le reste du chapitre.

Et on se retrouvera dans la même impasse didactique que précédemment.

La seule explication rationnelle de cette antilogie qui veut faire aborder de très importants sujets de connaissance historique dans un temps impossible à respecter serait que les connaissances ne sont plus considérées comme premières dans la formation du futur citoyen.

Au-delà de leur affichage très exhaustif dans le programme, elles ne seraient plus alors que simple prétexte au développement des compétences que l’élève doit acquérir.

Si on aborde la mise en oeuvre du programme sous cet angle, on tient en effet sans problème l’horaire, car il n’est plus vraiment nécessaire de chercher à donner un sens global à ce qui est enseigné ni de passer du temps à vouloir initier l’élève à la complexité du fait historique.

Il suffit de prendre tel événement comme "prétexte" à l’étude d’un tableau statistique ou tel autre événement comme "prétexte" à l’étude d’un argumentaire, et tant pis si l’élève n’aura au bout du compte qu’une vision très partielle, très fragmentaire ou très superficielle des événements historiques étudiés.

C’est un choix qui permettra sans doute à beaucoup d’élèves d’entrer dans leur vie de citoyens avec de solides compétences mais sans rien savoir de sérieux sur ce qu’ont été le général de Gaulle, la Shoah ou la guerre d’Algérie.

Ils trouveront leur information ailleurs, sur les réseaux sociaux...

Que l’opinion n’accuse pas alors l’enseignant d’histoire-géographie de ne pas avoir fait son travail !

Il n’y sera pour rien.

Franck Schwab
Président de la Régionale de Lorraine de l’APHG


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